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Les rendez-vous lointains

dimanche 3 mai 2020 - Ce qui nous empêche

Toujours planant, volant, elle se demande si dans la ville ce qui compte c’est encore ce qui fait souvenir ou si quelque chose a changé. Si la ville n’est pas devenue un poignard à entailler le passé, à précipiter ce qui jusqu’ici n’était pas si lointain dans une galaxie souterraine. Où sont passés les rendez-vous d’amour dans les restaurants inconnus, le long des quais, dans les squares, les musées, à la vue de tout le monde ou cachés bien serrés. Quelles sont ces places, ces avenues illégales où quelques semaines plus tôt chacun était sommé de se rendre pour travailler, pour consommer, passer de l’un à l’autre sans rien penser de plus. Où ont disparu ces emplois du temps qui maintenaient accolés travail et loisir, cette organisation à exclure les rêveurs, malades, voyous, clochards, joueurs, vieillards, nourrissons, animaux, milliardaires ? Qui dira ce qui compte, désormais : l’illusion d’être en vie, de pouvoir le redevenir ?

Passe la police, une fois, deux fois, mille.

Dita Kepler n’est pas humaine, elle ne vit ni ne survit à rien, croit-elle. Mais si le monde réel cesse son mouvement de pendule, n’en invente pas un autre, que devient-elle dans le suspens : rien. Son énergie se délite. Sa langue natale est attaquée. La voilà trop abstraite, inaudible, dénouée du quotidien qui d’habitude l’accueille.

En revenir aux lieux interdits, aux objets, aux tout petits détails. Bars, boites, clubs, chantiers, jardins, bibliothèques, les nommer, les peupler. Rappeler les obsessions, faire revenir les chimères : le mouvement même de Dita Kepler.