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Prendre patience

vendredi 20 mars 2020 - Ce qui nous empêche

Quatre heures du matin – le monde est endormi – au loin coule le fleuve – c’est terminé tout est calme, tout est assaini – le roi a parlé, ses gens se sont affairés – il y a un ciel dégagé, il sera bleu – c’est fini, plus rien ne bouge – puis les rêves s’en sont allés – plus rien, on n’en a plus parlé, il y avait aux âmes quelque chose comme une couleur, une lumière, un sort – le monde est tel qu’il est chantait le poète – nous n’avions que toi sur la Terre – nous savions nos saisons, nous savions nos géographies – et puis tout à coup, sans qu’on s’en aperçoive vraiment, tout nous fut retiré – nous étions épris de liberté et de fraternité – jamais il n’avait été question de la moindre égalité – ces mots devenus creux, sans objet – nous avions nos espérances et nos joies et nous avions nos fêtes et nos croyances, et nos guerres, et nos victoires – tout s’est arrêté, tout s’est fondu en plomb – il ne s’est pourtant rien passé, en dehors de nous, nous ne voyions rien, tout était parfaitement normal, tout allait bien : et puis plus rien – bizarrement peut-être c’est ce bien-là qui nous a aveuglé – devant nous s’étalait sous la nuit le désert – ce n’était pas la peur, ce n’était pas la crainte, nous n’avions pas d’ennemi mais nous avions des armes : nous avions nos usines, nos savoir-faire, nous avions nos brevets nous avions nos avions – notre droit, notre économie, notre connaissance et notre science qui surpassaient celles de tous les autres – nous étions seuls sur la Terre tu nous as oubliés – il fait froid, il est quatre heures, dehors il n’y a personne

performance – concurrence – loi du marché main invisible – efficience – évaluation comparaison challenge courses bourses défi – nous avions nos doutes, nous avions nos a priori, nous n’étions pas si sûrs de nous, « nous n’avions que toi sur la terre, nous t’avons oublié, toi, ne nous oublie pas » Serge Reggiani jouait dans Casque d’Or Simone et Signoret avait quitté son Ivo qui était sur la Côte d’Azur – la Garde-Freinet, cette maison que voulait acheter ma mère – nous n’avions que toi sur la Terre, mais le monde est beau – on achetait des pêches par cageot, on rentrait à la maison sur la colline de la Croix-Valmer