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Le nom de l’arbre

vendredi 18 août 2017

C’est là de nouveau, ça emplit tout... ça se tient là immobile, immuable, aucun changement d’une fois à l’autre... le pan de mur en plein soleil, les larges pavés arrondis, l’herbe entre eux d’un vert grisâtre, l’épaisse pierre patinée du vieux banc et au-dessus les branches couvertes de fleurs roses qui montent du mince tronc rugueux en touffes duveteuses... Et voici dans cette immobilité parfaite, dans ce silence... il semblait qu’il ne pouvait y avoir ici aucune présence... brusquement ces mots : « Comment il s’appelle déjà, cet arbre ? ». …
Mais ce n’est rien, une brève intrusion, une menace de destruction qui sera repoussée en une seconde... « C’est... c’est... » Le nom est là, il attend, tout prêt à accourir, il n’y a qu’à l’appeler... « C’est un... c’est un... voyons c’est un... » et il ne vient pas... le talisman qu’il suffit chaque fois de saisir et de tendre, le talisman qui détourne le mauvais œil n’est plus là... mais que se passe-t-il ? mais ça ne s’est jamais passé, c’est la première fois...
L’inspecteur indifférent, insensible se tient sur le seuil, il attend... qu’il prenne patience, il l’aura, la pièce exigée... elle était toujours ici... comment a-t-elle pu se perdre ? il faut bien chercher, elle va sûrement se retrouver...

Le pan de mur, les pavés, l’herbe, le banc sont devenus un peu irréels, inconsistants... un décor dressé là pour que sur lui l’arbre se détache... Un arbre anonyme, un arbre étranger... il doit absolument révéler son identité, il ne faut pas le lâcher, il faut l’interroger encore et encore, tenir là, exposé, son mince tronc rugueux, ses branches couvertes de touffes de fleurs qui se dressent comme des panaches, des plumets... il faut l’enserrer, le presser, le soumettre à la question... mais rien n’en sort, pas le moindre indice, rien qui puisse permettre de retrouver son nom...

Peut-être que de le traiter avec plus de douceur, le ramener et le replacer dans son décor réel où il s’épanouirait à l’abri de toute contrainte... devant ce petit mur blanchi à la chaux, derrière ce banc, sur cet espace rond entre les pavés où il s’enfonce... peut-être que dans cette ambiance familière tout naturellement il se laisserait aller... mais il ne livre rien... il se dresse à distance... un arbre sans plus... juste un arbre...

Eh bien alors que tout autour de lui disparaisse, qu’il ne reste ici que ce qui n’est qu’à lui, cela seul, il faut l’examiner de très près, c’est cela seul qui le distingue de tous les autres arbres, ce sont là ses signes particuliers... ces branches de fleurs rose pâle... duveteuses, vaporeuses... elles flottent autour de lui... elles l’entourent d’une brume légère... Quelque chose se condense, va sourdre... qu’est-ce que c’est ? C’est quelque chose de joyeux, oui, de rieur... des rires... des ris... ris... Tamaris... aucun doute possible, c’est un tamaris... d’un seul coup tout est revenu... un tamaris... le talisman était passé tout près, mais il n’avait servi à rien... comment ce gros et encombrant lisman qui était accroché à ta aurait-il pu permettre de suivre à la trace, de rejoindre tamaris ? Ta-ma-ris...

Nathalie Sarraute, Ici, Gallimard, 1995.

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