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Ma fleur, mon âme (extrait des Demoiselles de Rochefort)

mardi 30 mai 2017

Delphine entre dans la galerie d’art de Guillaume Lancien.

GUILLAUME Bonjour ma fleur.
DELPHINE Bonjour Guillaume.
GUILLAUME Que tu es belle, mon âme.
DELPHINE Quand tu dis « mon âme » c’est à mon corps que tu penses.
GUILLAUME Exactement, mon cœur. Si je n’étais pas aussi amoureux de toi, je serais jaloux. Mais je t’aime, et cela me rend orgueilleux. Et envieux, parce que j’ai toujours envie de toi.
DELPHINE Au fond je ne t’inspire que de très vilains sentiments.
GUILLAUME Et aussi gourmand, et luxurieux...
DELPHINE … et bavard. Tu t’écoutes parler, tu n’aimes que toi.
GUILLAUME Moi et toi. Je t’aime.
DELPHINE C’est pour me dire ça que tu voulais me voir ?
GUILLAUME Tu ne m’aimes pas, mon cœur, et pourtant un jour tu seras ma femme.
DELPHINE Je t’ai déjà dit non, Guillaume.
GUILLAUME Alors pourquoi viens-tu ?
DELPHINE Parce que tu m’amuses. Mais si tu y tiens je peux ne plus venir. (Elle tourne un peu dans la galerie, découvre le tableau peint par Maxence). Mais c’est moi !
GUILLAUME Oui ma fleur. Tu ne m’avais pas dit que tu posais pour les militaires.
DELPHINE Les militaires ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qui a fait ce portrait ?
GUILLAUME Mais je viens de te le dire : un militaire. Il se dit peintre, et poète : tu vois le genre. Tu le connais ?
DELPHINE Non. C’est troublant cette ressemblance. Tu ne trouves pas ?
GUILLAUME Simple coïncidence.
DELPHINE Mais c’est tout à fait moi !
GUILLAUME Pas du tout, c’est platement figuratif. Toi, tu es spirituelle, mon âme. Non, c’est un portrait sans valeur, une œuvre d’imagination. Et il l’appelle « idéal féminin » en toute simplicité.
DELPHINE « Idéal féminin »... Comme ce type doit m’aimer, puisqu’il m’a inventée.

Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort.

lu par Gérard et Mireille

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