Entrer et sortir du cadre

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Paris-Guernica

mardi 30 mai 2017

Elle peut maintenant revenir à l’atelier. Du couloir, on entend les coups de marteau donnés avec frénésie. Il est perché sur l’escabeau et tape au sommet du cadre, sur la poutre peut-être. Il a des clous dans la bouche, manie l’outil avec des gestes d’ouvrier du bâtiment. Il ne se retourne pas quand elle arrive. Puis redescend avec ce mélange de souplesse et de force qui lui est habituel, jette les clous qui roulent sur les tommettes.
La toile est immense ! Tendue sur un châssis, c’est un rectangle disproportionné, très large et dont la hauteur l’empêche de se dresser à la verticale. Aussi grande qu’un écran de cinéma, elle s’incline légèrement, coincée de biais entre les poutres et le sol. Sa blancheur semble éclairer la pénombre persistante de l’atelier. On dirait une voile de bateau, un de ces canots rustiques et frais qui partent au matin, pense-t-elle. Pas une carte postale, plutôt la vision de ces aubes encore froides où elle marchait sur la pierre dure des quais, parmi les cordages, ports de pêche, marchands, villes d’Europe ou d’Amérique du Sud, on continent natal, souvenirs nombreux, des départs, des arrivées, livrés au hasard, été comme hiver, des pérégrinations familiales, des errances solitaires, des voyages d’amis, des brises de mer. Il s’est approché maintenant tout contre la toile, trace des arabesques, des courbes à grands moulinets de bras. Tout son corps participe. Il projette des ombres qui s’étirent, se ramassent, s’enroulent comme un double de lui.

1937 Paris-Guernica, Thierry Beinstingel, éditions Maren Sell, 2007

lu par Monique

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