Hangzhou : une famille comme les autres

Il y a quelque chose avec la Chine (vous je ne sais pas, mais moi, oui) (les conditions de production du film sont chinoises) (c’est pour ça) c’est qu’elle me paraît incommensurable, immense, inatteignable (ce doit être ce milliard et plus d’individus – curieusement (?) ça ne me fait pas cet effet pour l’Inde) (ça commence à changer, non ? je veux dire comme idée reçue présupposé etc. non ? ) et ici cet effet disons inconscient (psychologique, référentiel, induit ou oblique) apparaît dans le fait que le film fait partie (dit-on) d’une trilogie et que la première partie compte pour cent cinquante minutes quand même.

(j’illustre d’abord d’images fournies par le robot – mais, j’ose le croire, postées par des êtres humains – il m’arrive d’être naïf – apparemment pas de voiture qui passe et photographie dans cette contrée éloignée – éloignée ? mais de quoi ? pas de Shanghai en tout cas qui, avec (au bas mot) 25 millions d’habitants, est à cent kilomètres…).
Beaucoup de fleurs jaunes, des immeubles au fond, immenses, disproportionnés

Le propos du film (Séjour dans les monts Fuchun, Gu Xiogang, 2019) s’appuie sur l’emprise, l’immobilier, le foncier, et ceux qui y vivent (on y apprendra par exemple que le prix du mètre-carré dans le neuf et ces faubourgs (zeugme) se négocie dans les vingt mille yuans – lequel yuan (on disait franc, peseta, lire ou escudo avant de dire euro, tu te souviens hein…) vaut zéro virgule treize euros (soit un mètre-carré à quelque chose comme deux mille six cents euros)) (fixons les idées).
Une grande famille en est le personnage principal

mais la ville aussi, et tout autant sans doute le fleuve (c’est là que le réalisateur a passé son enfance et sa jeunesse, fils d’un restaurateur dit-on).

Car elle se trouve (comme souvent) sur les bords d’un fleuve (459 kilomètres de long (dixit wiki), nommé Qiantang) qui se jette en mer de Chine, à une centaine de kilomètres donc au sud-ouest de Shanghai :

il y a au fond toute une culture à tenter d’assimiler (le Fuchun du titre est aussi le nom de la rivière/fleuve qui arrose la ville – enfin cette partie-là du fleuve…) – le vocabulaire, le ton des dialogues, la géographie, donc la culture : le titre fait référence à une oeuvre dessinée du quatorzième siècle (si on ne le dit, on ne le sait…). Mais une famille normale (je veux dire : comme ici…) (moins mélodramatique cependant qu’à Rio) : elle fête les soixante dix ans de la grand-mère – début du film

dans ce restaurant qui appartient à l’un des quatre fils (ici celui qui se courbe, en beige , tout sourire – l’aîné, si j’ai bien compris, à sa gauche, sa femme)

cette dame assise (qui est veuve depuis quelques temps)

On la verra, on suivra les épisodes relatifs aux enfants de ces quatre fils (chacun dissemblable, buvant, mangeant, riant ou jouant – l’un d’entre ces fils est un joueur (plus ou moins) professionnel – avec tout ce qui va avec (la mafia et sa pègre par exemple) – un peu comme sous nos latitudes… – et puis pas mal d’histoires d’argent

les quatre frères qui jouent un peu au basket comme quand ils étaient enfants

et quelques histoires d’amour

la grand-mère qui indique à sa petite fille la marche à suivre pour supporter de vivre

Des ennuis, des choses à régler, des comptes à rendre et des dettes à honorer

des enfants à élever, nourrir, aider – la magnificence et du fleuve

(l’un des frères, pêcheur de son état , vit dans ce bateau) et de la ville

la ligne de lumière blanche qu’on discerne au fond de l’image marque le pont de l’image précédente

Et puis disparaîtra la grand-mère

on honorera sa mémoire, on honorera son dieu

des plans-séquence splendides, un cinéma de fondus-enchaînés maîtrisés

une ville dans la multitude – et une si belle et prenante histoire urbaine

On ira voir les suivants, probablement…

Séjour dans les monts Fuchun (première partie), un film de Gu Xiaogang.

Rio de Janeiro : Invisible Euridice

(image d’entrée de billet : Fernanda Montenegro et Karim Aïnouz)

Ce sont deux sœurs – au début du film, elles jouent, s’amusent, elles n’ont pas vingt ans – elles aiment rire (ce sont les débuts des années cinquante)

Ensemble et liées

c’est une belle histoire – dans le langage un peu suranné de la distribution de cinéma, on appelle ça un mélodrame (on ôtera « drame » si on veut être un peu plus cynique ou désabusé) – c’est un film brésilien (réalisé par un homme qui vit en Allemagne – Karim Aïnouz) (le Brésil, ces temps-ci, a quelque chose de malade – mais comme toute la planète, certes – l’ordure y est au pouvoir tandis que l’Australie flambe) un film qui se passe à Rio

(le pain de Sucre à Rio est comme le Prado à Madrid ou la Cannebière à Marseille) une si belle histoire : deux sœurs que tout unit et qui ne se reverront plus…

L’une, Guida l’aînée, s’en va – amoureuse d’un marin grec nommé Iorgos… L’autre, Euridice, donc, continue avec son amour de la musique et du piano

Très probablement ce qui l’aide à tenir et à vivre sans cette relation avec Guida
Tout au long du film, et la musique et Guida qui écrit des lettres à sa soeur

« tout mon amour de la part de la fille et de la sœur qui vous aime infiniment »…

et à ses parents, mais ceux-ci ne les donneront pas à Euridice, sa sœur (en amorce, de dos, le père, Euridice et la mère, muette…)

Les lettres continuent

« très heureuse avec Iorgos… »

mais en fait, non : pas heureuse du tout.

Lorsque, seule, Guida revient

enceinte

son père l’envoie paître – lui fait croire que sa sœur n’est plus à Rio – il la jette dehors, fourre quelques billets plus humiliants encore dans son corsage et la chasse de chez lui, parce qu’elle n’a pas de mari et que ce qu’elle porte en son ventre est une honte pour la famille (on aura compris).

Euridice joue du piano, mais se marie

avec Antenor (est-ce un bon parti ?)

probablement assez choisi par son père. Mais reste le piano

une merveille, le destin des deux filles, parallèle (comme le montage des deux histoires), une merveille – Euridice enceinte tandis que Guida après turpitudes de femme seule en pays patriarcale (en diable : le monde entier…) trouve une amie

Filomena (propriétaire d’une petite maison) – elle l’aide à élever son enfant – turpitudes des deux femmes seules, le monde entier…
Et puis…
Euridice cherchera à retrouver sa sœur, fera appel à un détective – mais non.

On aimerait tant qu’elles parviennent à se rencontrer – au fond de l’image, dans le trouble et son caraco jaune, c’est Guida qui passe tandis que Euridice au miroir ne se retourne pas (elle l’aurait vue…). On aurait tant aimé…

La merveille cependant, la vraie merveille du film (il en compte tant…), je crois, c’est la séquence où Euridice passe le concours (du conservatoire).

Elle est de dos, le piano sur la scène l’attend.

(on tremble toujours pour les actrices – un jury composé uniquement d’hommes) les actrices, les acteurs, on tremble toujours pour eux : y parviendront-ils ?

C’est là la vraie magie du cinéma

de ce cinéma-là (celui qu’on aime), sa vraie magie c’est de faire arriver les choses

qui n’existent pas dans la vraie vie (mais est-ce sûr que ce soit celle-là, la vraie ?) (oui, au fait, laquelle est-ce ?)

Euridice s’est mariée, joue du piano et danse avec sa soeur, Euridice danse

oui, danse Euridice, danse…

Elle sera reçue, il y aura d’autres péripéties, d’autres errements, d’autres égarements…

« j’avais découvert ce que voulait dire être une femme seule dans ce monde… »

Un mélodrame.

Montage cut.
Ni fondu, ni noir. Cut

Le temps n’existe pas (comme pour l’inconscient) : c’est que le cinéma est né en 95 comme la psychanalyse. L’une des plus grandes actrices du Brésil (et donc du monde) (plus télévision) (admirable)

« Tu ne peux pas imaginer combien tu m’as manquée »

à qui on rend les lettres écrites par sa sœur cinquante ou soixante ans plus tôt…

De nos jours.

Une vraie merveille (et bien sûr qu’on pense à Douglas Sirk, notamment ce « Mirage de la vie » (1959) – titre original « Imitation of life »).

La vie invisible d’Euridice Gusmao, un film de Karim Aïnouz – image magnifique : Hélène Louvart
Distribution : Euridice âgée : Fernanda Montenegro
Euridice jeune : Carol Duarte
Guida : Julia Stockler
Filomena : Barbara Santos
Le père : Antonio Fonseca
La mère : Ana Gusmao
Anténor (l’époux d’Euridice) : Grégorio Duvivier