Paris : l’hôpital, la fracture

Voilà un moment (depuis le 2 mars 2020, soit le plus ou moins début de cette wtf pandémie) que cette rubrique est abandonnée à son sort – depuis la pandémie, j’ai l’impression (anéfé) – mais il nous faut vivre, disait la poète, vaille que vivre… On reprend ici avec un film français, et on essayera de tenir cette distance ici de (ne) parler (que) des films qu’on aime

C’est une histoire de ville – elle se passe en ville – en capitale : le début montre un camionneur , Yann (Pio Marmaï) qui rejoint Paris dans le cadre de son travail mais il va participer à une manifestation (début décembre 18 : ce n’est pas dit, on subodore et on se souvient) : une grenade éclate sous ses pieds, il est blessé gravement à la jambe : direction les urgences

Plus loin en parallèle une femme (VBT) pas vraiment bourgeoise (elle porte des basketts : est-ce suffisant pour n’être pas vraiment bourgeoise ? j’en sais rien, tu me diras) rompt avec son amie (Marina Foïs) qui s’en va, l’autre lui court après, en ville, elle tombe, se brise le coude – elle se retrouve à l’hôpital, téléphones omniprésents – l’une appelle son amie, l’autre en relation avec son fils sans y arriver, le troisième Yann avec son ami(e) So… Tout se croise mais surtout, et d’abord, d’abord Kim l’infirmière (Aïssatou Diallo Sagna, impériale avec son mari qui garde leur enfant malade) tout se téléscope – donc un film sur les urgences

un film sur les manifestations qui ont eu lieu avant la pandémie – l’épisode de la Pitié Salpétrière dont on se souvient : cette honte bue par le gouvernement – un film de ville, de sirènes de cris de fumées et de peurs

mais les choses sont prises en main par le personnel soignant (même si certains sont fâchés – il y a de quoi parce que l’hôpital, depuis vingt ans (et la taxation à l’acte, dite T2A mise en place par le gouvernement Chirac, et – très bizarrement – par le premier ministre d’aujourd’hui…) va finir si on n’y prend garde par céder, comme cette sécurité sociale chèrement gagnée et payée (on se souvient des paroles d’un syndicaliste patronal (Denis Kessler, appointé à 6 millions l’an chez Scor, société de réassurances – non, mais ça va bien) disant qu’il fallait annihiler tout ce qui avait été bâti par le programme du Conseil National de la Résistance en 1945) (une histoire de la politique française des vingt dernières années, menée par la droite, et par une certaine gauche mêmement) – c’est un peu de cette histoire-là

qui se joue, qui se jouait tout autant sur les ronds-points avant l’épidémie – un peu de cette histoire-là qui est racontée (en filigrane) dans le film car le vrai message du film, c’est que l’hôpital tient (la scène où le chef de garde interdit l’accès de l’hôpital aux forces dites de l’ordre est emblématique de cette résistance-là) oui, l’hôpital résiste (et le chef de garde porte un accent magnifiquement cosmopolite…) l’hôpital tient bon soigne sauve des vies. Mi-documentaire, mi-fiction, le film met donc en scène quatre personnages principaux et tissent entre eux des liens à la manière des fascias qui unissent nos organes et nos muscles et nos os : d’abord, l’infirmière Kim (je le redis, Aïssatou Diallo Sagna splendide) 

(dans la vraie vie, elle est aide-soignante : le cinéma lui offre une promotion…) calme et sûre ; puis ce couple de femmes, probablement très éprises mais très remontées l’une contre l’autre, que l’accident de l’une (Valeria Bruni Tedeschi, qui envoie grââââve, qui ne peut s’empêcher de dessiner, de la main gauche…) va rapprocher de l’autre (Marina Foïs si sérieuse, si les pieds sur terre…)

qui revoit un peu de son passé (une rencontre fortuite avec un ami de lycée) et envisage sûrement le chemin parcouru

beaucoup de choses bougent, beaucoup de certitudes sont ébranlées – mais restent (et c’est une des qualités majeures du film) la réalité de l’humanité (une vieille femme meurt doucement, on soigne un petit bébé, une femme blessée pleure, un jeune homme affolé ne tombe pas dans le meurtre…)

La fracture est ouverte, certes, mais le film tente de la réduire : la surexcitation de Yann (Pio Marmaï) vient de la rue qui enfante l’horreur – on n’a pas oublié les mains arrachés, les yeux énucléés, les blessures et même les morts (même si l’épidémie est passée par là, avec ses confinements, ses errements, ses mensonges et ses faux-semblants) : on n’oublie pas, mais ce film sert, aussi, à ça. S’il se termine plutôt dans le calme pour les deux femmes 

(elles parviennent à s’échapper de l’hôpital au petit matin), il en est autrement pour le camionneur – aidé par un CRS il s’échappe aussi, pourtant… Je ne sais pas bien mais j’ai pensé que la police, son armée, sa garde, était allié objectif de cette mort qui nous veut, tous et toutes…Retour ligne automatique
Une vraie réussite pour un cinéma (français) qui parle (une fois n’est pas coutume…) du quotidien du pays.

La Fracture (Catherine Corsini,2021) (en entrée de billet le trio d’actrices lors de la présentation du film à Cannes, cet été) (les images (c) CHAZ et Carole Bethuel, dossier de presse)

Mumbay/Bombay : Le photographe

c’est un endroit de la ville (12 millions d’habitants, plus de dix huit millions pour l’agglomération) où toujours passent le tourisme et le reste du monde et des pigeons par milliers

la porte de l’Inde et le Taj Mahal palace hôtel (qui a été le théâtre d’attentats en 2008 – après celui du Marriott d’Islamabad) (*), l’océan et la douceur de vivre. Ce rappel des attentats indiens ne tient pas de place dans le film – doux et charmant. Peut-être un contraste (la lutte des classes et des castes en Inde est féroce : ici, on n’en aura que des échos lointains, assourdis mais présents parfois à l’image et, très probablement, cette lutte est-elle ce qui ne permet pas l’entente des deux premiers rôles).
Le héros est un photographe des rues (on en croise de semblables dans la cour du Louvre ici à Paris)

Chemise blanche, appareil photo en bandoulière, dans le sac une imprimante qu’on ne distingue que mal sur l’image du robot : c’est exactement son rôle.

Le photographe (Rafi) dans l’exercice de sa profession (et ses outils dont l’imprimante)

C’est l’histoire d’un homme, Rafi, endetté qui, par son travail de photographe, envoie dans sa famille restée à la campagne, de quoi payer des dettes dont on ne comprend pas exactement la teneur sinon que la mort du père les a provoquées – quelque chose qu’on ne comprend pas, mais qui se relie directement à des lois et des institutions locales, de castes et de classes.

Nawazuddin Siddiqui dans le rôle titre : Rafi

Le voilà qui rencontre Miloni

Miloni (Sanya Malhotra) trop bien – et Rafi (Nawazuddin Siddiqui) devant le Taj Mahal Palace hôtel

Se noue alors une histoire. Elle, étudiante, lui photographe – elle ne le connaît pas –

Rafi et Miloni dans le bus : première rencontre

Il a une grand-mère qui veut qu’il se marie – lui ne connaît personne, demande à Miloni – elle accepte et se prête au stratagème. C’est une espèce de jeu

auquel ils se prêtent tous les deux

. Puis la grand-mère vient à la rencontre de son petit fils (et de la promise…).

Miloni et la grand-mère ( Farrukh Jaffar)

Ce sont les personnalités des deux protagonistes qui emportent le film : lui peut-être timide, elle certainement – ils parviennent à se comprendre – le film est en montage parallèle – une ville qui tient lieu de personnage et de décor

Rafi et Miloni dans une rue attendent un taxi

des images fixes, mais du cinéma – ils vont au cinéma ensemble, ils partagent quelque chose sans y parvenir vraiment

ce n’est pas qu’ils ne se comprennent pas mais quelque chose leur échappe

le tout est réalisé avec tendresse, pourtant – on veut la marier, elle aussi, comment faire pour y échapper ? On ne sait pas – quelque chose de chaste et de doux – mais qui ne veut pas fonctionner – qui ne peut pas… Pour Miloni, les parents tiennent pour un mariage arrangé – on connaît les autres parents, on sait comment se marier entre gens de bonne famille

Je me souviens de ce film , Sir (Rohena Gera, 2018) indien tout autant – cette facilité à l’élégance, à la distinction, je ne sais pas ce qu’il y a avec l’Inde (ces temps-ci, mais pas seulement pour ce pays, il y a de quoi être vigilant et se prémunir, se grouper,exister ? que sais-je ? non, je ne sais pas) – mais ce cinéma-là, un peu de comédie, un peu de drame, quelque chose de l’humanité tout entière… il reste qu’il faut vivre

PHOTOGRAPH featuring Sanya Malhotra courtesy of Amazon Studios.

Il y a quelque joie, quelque tendresse, quelques émotions simples – et le reste du monde qui s’y oppose… Tant pis, le film reste tellement doux.

Le Photographe, un film de Ritesh Batra.

(*) Le déroulement de l’actualité influence, par osmose, le cours de ce billet – notamment par les violences qui ont lieu ces jours-ci en Inde (on a visionné le film il y a quelques semaines). Il n’est pas spécialement avérés que ces violences nationalistes (couvertes par le pouvoir et singulièrement par le premier ministre dudit pouvoir, Narendra Modi – voir sous le lien, plus haut) aient pour fondements les attentats dont on parle, mais ils y contribuent sans qu’on puisse émettre de doute sur ces contributions. On ne tient pas non plus à créer une ambiance anxiogène ici, mais s’aveugler ne permet pas non plus de comprendre. Ainsi, le système des castes illustré ici est-il aussi issu d’une pratique religieuse, l’hindouisme, laquelle induit contraintes et obligations. Les attentats d’origine musulmane reflètent aussi une revendication religieuse, contre laquelle il semble que le film tente une mise en question. Pour mémoire aussi, l‘attentat à l’hôtel Marriott d’Islamabad (Pakistan) a eu lieu le 20 septembre 2008, les attentas de Mumbay (six lieux de la ville touchés) qui en sont une réplique suivant l’un des tueurs, se sont déroulés du 26 au 29 Novembre 2008 (en Inde, donc).

Gotland : six minutes quarante six

Il s’agit d’une île de la mer Baltique, au sud de la Suède – Gotland, île lointaine – ce n’est qu’en été qu’y tournait Ingmar Bergman et ce film-ci (qui donne de si belles images au bandeau de cette rubrique) s’y est tourné du 6 mai au 18 juillet 1985. Au loin croisent les navires

de belles images

sur la mer une nature difficile à et des vents forts

tel est le décor. Le film relate le rêve d’un homme, un vieux professeur pensant la troisième guerre mondiale (et atomique possiblement) arrivée. Le facteur indique une voie possible (c’est le premier plan du film, qui dure près de dix minutes)

pour que cette catastrophe ne se produise pas – le vieil homme peut-être crédule l’emprunte et promet, si la guerre atomique ne se produit pas, de sacrifier tout ce qu’il possède. Un sort, probablement – mais l’homme y croit (Erland Josephson (*) dans le rôle, un habitué des films d’Ingmar Bergman – à l’image de ce film-ci, Sven Nykvist, chef opérateur de la plupart des films d’Ingmar Bergman) et, à la presque fin du film, il entasse dans sa maison tout ce qu’il possède et y flanque le feu.
Il sort de chez lui par la fenêtre

une échelle

enjambant la balustrade du balcon

le feu commence à prendre, l’homme a soif

il lui faut boire, puis il s’en va

plan vide, bientôt

au son, le feu prend de l’ampleur

(ici débute le plan de six minutes quarante six secondes)
Ainsi, brûlera la maison

(tous les enfants sont sortis se promener, discutant de l’état de santé mentale du père, ayant décidé ensemble qu’il valait mieux l’interner) – l’homme croit en ces sorts, perd la tête, la raison – c’est fait

La catastrophe s’est produite

l’ambulance arrive trop tard

on le force à y entrer – il finit par se laisser faire – l’ambulance s’en va

tandis que le sacrifice est réalisé

Je ne parle pas de la sorcière (elle en les pouvoirs de qui il croit, cet homme – mais elle est là –

elle s’en va

et la famille reste prostrée – je ne raconte qu’un millième peut-être du film – prostrée

devant l’étendue de cette défaite… (ici la partie du plan qui illustre (par la grâce de Joachim Séné) le bandeau de ce blog, donc – (merci encore) – puis

à la dernière image du plan, l’histoire raconte qu’il n’y avait plus de pellicule (plus de film) dans le magasin de la caméra – l’histoire dit aussi que le plan fut tourné une première fois, mais qu’il fallut tout refaire car la caméra tomba en panne cette fois-là – la maison brûla entièrement… On garde je crois au moins une image (fixe) de ce plan-là

(On la reconstruisit, et la deuxième fois, ils tournèrent à deux caméras pour éviter une nouvelle catastrophe – mais le film se termine sans l’effondrement complet de la maison brûlée : le plan dure six minutes et quarante six secondes

Reste le dernier plan du film, en dédicace au fils du réalisateur – avec espoir et confiance…

(*) Cet acteur, si proche d’Ingmar Bergman qu’il prit sa succession à la tête du théâtre dramatique royal de Stockholm, m’est aussi proche que le Fernando Rey des films de Luis Bunuel (ou le Stanley Baker de ceux de Joseph Losey). Croisé à de nombreuses reprises donc dans les films d’un de mes réalisateurs préférés, il apparaît aussi dans un film « Dimenticare Venezia » (où je ne me souviens pas voir de plan de la sérénissime – il n’y en a pas) (Franco Brusati, 1979) dont j’avais réalisé le découpage, plan par plan, pour le magazine « L’avant scène cinéma » (numéro 277 du 1° décembre 1981) – film par lequel, alors, j’avais appris reconnu, ressenti et partagé le langage des fleurs de, je crois bien, la propriétaire de la maison (Marta), qui disait « roses rouges cœur ardent ».

Le Sacrifice, un film d’Andreï Tarkovsky (prix spécial du jury, à Cannes en 1986)

Hangzhou : une famille comme les autres

Il y a quelque chose avec la Chine (vous je ne sais pas, mais moi, oui) (les conditions de production du film sont chinoises) (c’est pour ça) c’est qu’elle me paraît incommensurable, immense, inatteignable (ce doit être ce milliard et plus d’individus – curieusement (?) ça ne me fait pas cet effet pour l’Inde) (ça commence à changer, non ? je veux dire comme idée reçue présupposé etc. non ? ) et ici cet effet disons inconscient (psychologique, référentiel, induit ou oblique) apparaît dans le fait que le film fait partie (dit-on) d’une trilogie et que la première partie compte pour cent cinquante minutes quand même.

(j’illustre d’abord d’images fournies par le robot – mais, j’ose le croire, postées par des êtres humains – il m’arrive d’être naïf – apparemment pas de voiture qui passe et photographie dans cette contrée éloignée – éloignée ? mais de quoi ? pas de Shanghai en tout cas qui, avec (au bas mot) 25 millions d’habitants, est à cent kilomètres…).
Beaucoup de fleurs jaunes, des immeubles au fond, immenses, disproportionnés

Le propos du film (Séjour dans les monts Fuchun, Gu Xiogang, 2019) s’appuie sur l’emprise, l’immobilier, le foncier, et ceux qui y vivent (on y apprendra par exemple que le prix du mètre-carré dans le neuf et ces faubourgs (zeugme) se négocie dans les vingt mille yuans – lequel yuan (on disait franc, peseta, lire ou escudo avant de dire euro, tu te souviens hein…) vaut zéro virgule treize euros (soit un mètre-carré à quelque chose comme deux mille six cents euros)) (fixons les idées).
Une grande famille en est le personnage principal

mais la ville aussi, et tout autant sans doute le fleuve (c’est là que le réalisateur a passé son enfance et sa jeunesse, fils d’un restaurateur dit-on).

Car elle se trouve (comme souvent) sur les bords d’un fleuve (459 kilomètres de long (dixit wiki), nommé Qiantang) qui se jette en mer de Chine, à une centaine de kilomètres donc au sud-ouest de Shanghai :

il y a au fond toute une culture à tenter d’assimiler (le Fuchun du titre est aussi le nom de la rivière/fleuve qui arrose la ville – enfin cette partie-là du fleuve…) – le vocabulaire, le ton des dialogues, la géographie, donc la culture : le titre fait référence à une oeuvre dessinée du quatorzième siècle (si on ne le dit, on ne le sait…). Mais une famille normale (je veux dire : comme ici…) (moins mélodramatique cependant qu’à Rio) : elle fête les soixante dix ans de la grand-mère – début du film

dans ce restaurant qui appartient à l’un des quatre fils (ici celui qui se courbe, en beige , tout sourire – l’aîné, si j’ai bien compris, à sa gauche, sa femme)

cette dame assise (qui est veuve depuis quelques temps)

On la verra, on suivra les épisodes relatifs aux enfants de ces quatre fils (chacun dissemblable, buvant, mangeant, riant ou jouant – l’un d’entre ces fils est un joueur (plus ou moins) professionnel – avec tout ce qui va avec (la mafia et sa pègre par exemple) – un peu comme sous nos latitudes… – et puis pas mal d’histoires d’argent

les quatre frères qui jouent un peu au basket comme quand ils étaient enfants

et quelques histoires d’amour

la grand-mère qui indique à sa petite fille la marche à suivre pour supporter de vivre

Des ennuis, des choses à régler, des comptes à rendre et des dettes à honorer

des enfants à élever, nourrir, aider – la magnificence et du fleuve

(l’un des frères, pêcheur de son état , vit dans ce bateau) et de la ville

la ligne de lumière blanche qu’on discerne au fond de l’image marque le pont de l’image précédente

Et puis disparaîtra la grand-mère

on honorera sa mémoire, on honorera son dieu

des plans-séquence splendides, un cinéma de fondus-enchaînés maîtrisés

une ville dans la multitude – et une si belle et prenante histoire urbaine

On ira voir les suivants, probablement…

Séjour dans les monts Fuchun (première partie), un film de Gu Xiaogang.

Rio de Janeiro : Invisible Euridice

(image d’entrée de billet : Fernanda Montenegro et Karim Aïnouz)

Ce sont deux sœurs – au début du film, elles jouent, s’amusent, elles n’ont pas vingt ans – elles aiment rire (ce sont les débuts des années cinquante)

Ensemble et liées

c’est une belle histoire – dans le langage un peu suranné de la distribution de cinéma, on appelle ça un mélodrame (on ôtera « drame » si on veut être un peu plus cynique ou désabusé) – c’est un film brésilien (réalisé par un homme qui vit en Allemagne – Karim Aïnouz) (le Brésil, ces temps-ci, a quelque chose de malade – mais comme toute la planète, certes – l’ordure y est au pouvoir tandis que l’Australie flambe) un film qui se passe à Rio

(le pain de Sucre à Rio est comme le Prado à Madrid ou la Cannebière à Marseille) une si belle histoire : deux sœurs que tout unit et qui ne se reverront plus…

L’une, Guida l’aînée, s’en va – amoureuse d’un marin grec nommé Iorgos… L’autre, Euridice, donc, continue avec son amour de la musique et du piano

Très probablement ce qui l’aide à tenir et à vivre sans cette relation avec Guida
Tout au long du film, et la musique et Guida qui écrit des lettres à sa soeur

« tout mon amour de la part de la fille et de la sœur qui vous aime infiniment »…

et à ses parents, mais ceux-ci ne les donneront pas à Euridice, sa sœur (en amorce, de dos, le père, Euridice et la mère, muette…)

Les lettres continuent

« très heureuse avec Iorgos… »

mais en fait, non : pas heureuse du tout.

Lorsque, seule, Guida revient

enceinte

son père l’envoie paître – lui fait croire que sa sœur n’est plus à Rio – il la jette dehors, fourre quelques billets plus humiliants encore dans son corsage et la chasse de chez lui, parce qu’elle n’a pas de mari et que ce qu’elle porte en son ventre est une honte pour la famille (on aura compris).

Euridice joue du piano, mais se marie

avec Antenor (est-ce un bon parti ?)

probablement assez choisi par son père. Mais reste le piano

une merveille, le destin des deux filles, parallèle (comme le montage des deux histoires), une merveille – Euridice enceinte tandis que Guida après turpitudes de femme seule en pays patriarcale (en diable : le monde entier…) trouve une amie

Filomena (propriétaire d’une petite maison) – elle l’aide à élever son enfant – turpitudes des deux femmes seules, le monde entier…
Et puis…
Euridice cherchera à retrouver sa sœur, fera appel à un détective – mais non.

On aimerait tant qu’elles parviennent à se rencontrer – au fond de l’image, dans le trouble et son caraco jaune, c’est Guida qui passe tandis que Euridice au miroir ne se retourne pas (elle l’aurait vue…). On aurait tant aimé…

La merveille cependant, la vraie merveille du film (il en compte tant…), je crois, c’est la séquence où Euridice passe le concours (du conservatoire).

Elle est de dos, le piano sur la scène l’attend.

(on tremble toujours pour les actrices – un jury composé uniquement d’hommes) les actrices, les acteurs, on tremble toujours pour eux : y parviendront-ils ?

C’est là la vraie magie du cinéma

de ce cinéma-là (celui qu’on aime), sa vraie magie c’est de faire arriver les choses

qui n’existent pas dans la vraie vie (mais est-ce sûr que ce soit celle-là, la vraie ?) (oui, au fait, laquelle est-ce ?)

Euridice s’est mariée, joue du piano et danse avec sa soeur, Euridice danse

oui, danse Euridice, danse…

Elle sera reçue, il y aura d’autres péripéties, d’autres errements, d’autres égarements…

« j’avais découvert ce que voulait dire être une femme seule dans ce monde… »

Un mélodrame.

Montage cut.
Ni fondu, ni noir. Cut

Le temps n’existe pas (comme pour l’inconscient) : c’est que le cinéma est né en 95 comme la psychanalyse. L’une des plus grandes actrices du Brésil (et donc du monde) (plus télévision) (admirable)

« Tu ne peux pas imaginer combien tu m’as manquée »

à qui on rend les lettres écrites par sa sœur cinquante ou soixante ans plus tôt…

De nos jours.

Une vraie merveille (et bien sûr qu’on pense à Douglas Sirk, notamment ce « Mirage de la vie » (1959) – titre original « Imitation of life »).

La vie invisible d’Euridice Gusmao, un film de Karim Aïnouz – image magnifique : Hélène Louvart
Distribution : Euridice âgée : Fernanda Montenegro
Euridice jeune : Carol Duarte
Guida : Julia Stockler
Filomena : Barbara Santos
Le père : Antonio Fonseca
La mère : Ana Gusmao
Anténor (l’époux d’Euridice) : Grégorio Duvivier

Marseille : la gloire du monde

Voilà près de quarante ans que Robert Guédiguian (66 ans – premier film à vingt huit ans) nous entretient de Marseille, de l’Estaque, et des gens de peu (ceux de Pierre Sansot, qu’il nomme lui les petites gens). Quelques incartades (comme celle avec Michel Bouquet dans le rôle de Tonton, avec le Promeneur du champ-de-Mars (2005) ou avec l’affaire Manouchian (L’Armée du crime, 2009) mais généralement, on tourne à Marseille, ou pas si loin que ça.
Dans la plupart des cas, on nous parle dans ces films de nous à travers un trio d’acteurs (Ariane Ascaride – primée pour son rôle ici)

Jean-PIerre Daroussin (qui joue son mari, chauffeur de bus – Richard)

et Gérard Meylan (qui joue Daniel, le père de Mathilda)

Cette fois-ci, on entre dans le drame : c’est notre époque qui veut ça (et, en effet, elle semble dramatique, ces temps-ci, avec notamment l’idéologie développée depuis une trentaine d’années au moins par nos dirigeants). Cette façon de faire s’incarne peut-être dans le tissu même de la ville.

En 2015, le coin de la rue où logent Sylvie et Richard (interprétés par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Daroussin)

La ville change (et parfois dramatiquement : voir la rue d’Aubagne, l’année dernière (1)…).

le même coin en 2019

Sylvie fait des ménages (plutôt la nuit) pour une boite d’intérim

Richard conduit un bus. Lorsqu’elle rentre au petit matin chez elle (on a vu le contrechamp, voici le champ), elle voit ceci

quand le bâtiment va – en 2015, nous étions dans ces dispositions

C’est ainsi, la ville vit. Le décor du drame tient aussi au magasin que tiennent Aurore et Bruno (ici il y a quelques années)

désaffecté de nos jours

le bus passe – c’est adéquat.

Aurore est la vraie fille du couple Sylvie et Richard (elle est interprétée par Lola Naymark) mais Mathilda (Sylvie est sa mère, Richard son père adoptif) (c’est Anaïs Demoustier qui l’interprète) elle, est la fille de Sylvie – son père (c’est Daniel) est en prison pour meurtre (d’assez légitime défense, cependant).

Et, au début du film, Mathilda accouche de la petite Gloria.

Et c’est Gloria qui est le scandale du film : le père (assez probable) de cette petite fille (dont on voit l’accouchement, dans un hommage du réalisateur à Artavazd Pelechian), le père donc, prénommé Nicolas (Robinson Stévenin) ne parvient pas à gagner sa vie : ainsi que le héros de « Sorry we missed you » (Ken Loach, 2019), il n’a pu faire autrement que d’opter pour un statut contemporain (auto-entrepreneur : tous les risques, peu de gains). Quant à sa mère (Mathilda donc) elle ne trouve guère de travail sinon mal payé (vendeuse) : sans doute son caractère un peu trop tranché en est-il la cause – mais on ne sait pas trop. Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’elle entretient avec son beau-frère Bruno (sur l’image ci-dessus, ce regard de Mathilda est pour Bruno) une liaison…
Une histoire de famille dans une ville de la si magnifique start-up nation/premier de cordée à vomir. Aurore et son mari, Bruno, y croient dur comme fer, à cet idéal. Eux travaillent et gagnent leur vie, c’est même la raison pour laquelle ils n’ont pas d’enfant.

Aurore (Lola Naymark) et Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet)

Le drame est posé, se terminera mal, noir et futile. L’entraide demandée par les parents ne verra pas la jour, et Daniel continuera ses poésies chinoises où il les a commencées.


En réalité, c’est l’histoire de Daniel qui est le support du film (toutes les histoires en sont le support, mais celle de Daniel est sans doute la plus signifiante, tout au moins pour le réalisateur).

On dira que le point de vue du réalisateur prime – sans doute – et que les images de femmes données sont parfaitement limite – et ce sera vrai. Mais pourtant, le film reste attachant – comment savoir pourquoi ?

Daniel et Richard promènent la petite gloria

Il y a les acteurs, certes (les hommes – âgés – sont nettement plus gâtés dans leurs rôles que les femmes). Mais il y a aussi (et peut-être surtout) la ville

qui tient une place et un rôle (peut-être le premier) dans toute ces histoires – dans l’histoire de la petite Gloria, surtout.

Cette ville, un port de nuit

comme de jour

On ne va pas dire qu’on sort ragaillardi du film, non, et même plutôt désespéré mais on l’était déjà avant d’entrer : le monde tel qu’il est, et ses turpitudes et ses trahisons et ses petits tas de misérables petits secrets…

On vous le conseille quand même.

Gloria Mundi, un film de Robert Guédiguian.

(« Sic transit gloria mundi » – sans majuscule à Gloria – « c’est ainsi que s’éteint (ou « que passe ») la gloire du monde »)

(1) : la revue mensuelle CQFD (Marseille) parle du drame de l’effondrement de ces deux immeubles, un an après, dans son numéro 181 – de novembre 2019.

Paris : rue Daguerre

Nurith Aviv a participé au tournage du film Daguerréotypes (1975), projeté dans le cadre de la cinémathèque du documentaire (centre Pompidou, Trésors du doc) le 17 octobre dernier. C’est à ce titre qu’elle a été interrogée, après cette projection, en tant que directrice de la photographie. Elle a aussi participé, comme directrice photo, à quatre autres films d’Agnès Varda : L’une chante l’autre pas (1976) ; Documenteur (1982) ; Sept pièces cuisine salle de bain à saisir (CM- 1984) ; Jane B. par Agnès V. (1987).
L’image ci-dessus représente deux des habitants de la rue Daguerre, Marcelle et Léonce, qui tenaient alors la parfumerie « Au Chardon Bleu ». On peut retrouver une exploration de la rue Daguerre (en son ouest) sur Pendant le week-end.

Les questions en italiques et claires sont de la personne qui interrogeait Nurith Aviv ; les questions du public sont en gras dans la suite.

Comment avez-vous connu Agnès Varda ?
Eh bien, très simplement, comme c’était à l’époque. C’était en 75. Donc au téléphone elle m’a appelée : « Bonjour, c’est Agnès Varda. J’ai vu l’image d’un film que vous avez fait, je l’ai vu à Cannes et je voulais vous féliciter ». Je me dis, c’est bien, Agnès Varda veut me féliciter pour Erica Minor, le film de Bertrand van Effentere qui est passé à Cannes, très bien, et puis elle me dit : « Vous voulez bien travailler avec moi ? ».  J’ai dit « Bon, OK » – « Vous pouvez passer demain ? » – « Oui, je peux passer demain… » J’arrive et elle me dit, « Bon il y a, après-demain, il y a ce type-là [Mystag, le magicien] qui passe au café, est-ce qu’on peut commencer à tourner demain ? » Le lendemain on a commencé à tourner et ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’elle a vu les images que j’ai faites dans un long métrage et elle a décidé que c’est moi qui devait tourner et elle n’a pas du tout… C’est-à-dire que pendant une semaine, elle me cherchait par des voies complètement, complètement détournées. Elle a regardé la liste de tous les techniciens qui ont fait le film, elle a appelé tout le monde et finalement elle est tombée sur la femme d’un ingénieur du son qui lui a donné mon adresse. Mais elle était cool… Moi je n’aurais pas été jusqu’au dernier moment, moi je n’aurais pas eu… mais voilà, elle, elle m’a dit qu’elle avait vu cette image-là et qu’elle était avec Jacques Demy et que tous les deux étaient très… Enfin, du cadre, de la lumière, ça leur a beaucoup plu. Je trouve ça génial de la part de quelqu’un comme ça, elle ne savait pas qui j’étais au juste, elle a aussi prétendu qu’elle ne savait pas si j’étais homme ou femme…

Quelle était l’équipe lors du tournage, vous étiez combien ?
Eh bien, j’avais un assistant qui était à l’époque Denis Gheerbrandt, mais je crois que ça ne se passait pas très bien entre lui et Agnès. Je crois qu’en cours de route quelque chose… mais je ne sais pas, en fait bon voilà, après je ne me rappelle pas qu’il y avait un électricien, mais il devait y avoir quand même un ingénieur du son, donc ça fait qu’on était quand même au moins quatre, oui…

Et comment se faisait la connexion entre Agnès Varda et vous, sur le tournage elle était derrière le cadre vous aviez un système de communication… parce que la mise en scène est très précise…
Ça dépend… C’est-à-dire que le premier jour, je m’en rappelle comme un cauchemar… Parce que pour tout, c’était : « mets-toi là »… « mets-toi là… » et « mets-toi là… mets-toi là » et c’était des plans très courts, hein… Bon, le deuxième jour on s’est trouvé chez le boucher et là, ce qui s’est passé c’est que le couple, le vieux couple là qui finit ce film [le couple du magasin Le Chardon Bleu], oui voilà, ils sont arrivés et ils ont… Moi j’ai filmé comme je pouvais donc et elle, elle ne pouvait rien dire puisque c’est un plan séquence. Donc à partir de là, elle ne pouvait rien dire, mais moi non plus, c’est-à-dire que tout d’un coup, ça se faisait et il fallait suivre, donc c’est là qu’il y a eu quelque chose qui s’est passé et à partir de ce moment-là… Je parle de tout ce qui est le… suivre les gens, on était là à suivre et elle devait faire confiance et en me faisant confiance à moi, moi aussi je pouvais me faire confiance. Vous voyez il faut laisser faire, c’est-à-dire que ce n’est pas moi, moi je ne fais rien moi je pense que c’est les gens qui font la caméra moi je dois juste… Je suis juste présente. Vraiment je dis ça très sérieusement, mais il y a aussi toute la partie qui est de la mise en scène, vraiment de la mise en scène, pas photographique mais presque… Alors là ça s’est vraiment passé super bien, c’était vraiment… et justement il ne fallait pas la parole du tout…

Intuitivement
Oui, il n’y avait plus beaucoup de paroles, moi j’ai trouvé ça vraiment… Pour tout ce qui est mis en scène parce que c’était toujours des références à la photographie, on était toutes les deux photographes donc oui, ça s’est vraiment passé dans quelque chose qui était vraiment harmonieux, alors on ne peut pas tellement comprendre comment ça s’est passé le premier jour, parce que vraiment tout au long après, tout au long c’était génial, vraiment génial.

Est-ce qu’il y a des questions, des remarques des observations dans la salle… ?
(dans la salle on apporte le micro – en attendant) Moi j’ai une question… oui, il n’y avait pas d’électricien, mais comment était l’électricité sur le tournage ?
Mais parce qu’on a tout tiré depuis chez Agnès, pour éclairer et il en fallait parce qu’à l’époque il fallait éclairer quand même, il n’y avait pas de lumière du tout, là il fallait quand même une certaine quantité de lumière donc, on a tiré un fil de chez Agnès et on tournait en 16, et on a tiré le fil de 80 mètres. On ne pouvait pas aller plus loin que 80 mètres.

Ce qui a limité le champ d’action
Oui, voilà c’est ça donc on allait dans tous les sens, au maximum 80 mètres et Agnès prétendait que c’était son cordon ombilical (rires) et Mathieu avait à l’époque un an et demi et donc il fallait qu’elle fasse quelque chose qui soit proche si vous voulez voilà… qui la reliait à la maison.

Oui, alors la question de la salle : « Bonsoir, j’ai une question un peu bête, je voulais savoir combien de temps a duré le tournage, et est-ce que les scènes étaient répétées ou alors est-ce que c’était spontané ? »
Ça dépend desquelles… répétées je ne crois pas, bien sûr il y a des scènes qui sont mises en scène, exprès, quand ils parlent des rêves, quand on voit que c’est une caméra. Et la fin, oui, tout ça est mis en scène mais le reste non, ce n’est pas répété, c’est de l’observation… Et pour le tournage je crois que c’était que quatre semaines… Mais après il y a aussi… Je crois que Agnès a eu des idées une fois qu’elle était au montage des petits bouts qu’elle a ajoutés après, comme le sourire de la Joconde, elle a trouvé que la fille ressemblait, et c’est vrai hein… Aussi des petits trucs avec le magicien, des petits trucs comme ça qu’on a faits, ça c’est la méthode Agnès hein, mais c’est des petits moments, elle monte un peu et des petits trucs qu’on a peut-être faits plus tard…

Ce qui est intéressant, c’est que vous avez dit tout à l’heure que c’était la représentation du magicien qui a déclenché le tournage…
Oui, oui, voilà parce que c’était un samedi et elle a du se dire que oui on va tourner et certainement qu’elle a eu l’idée de dire à tous les voisins d’y aller parce que comme ça, il y aurait tout le monde vous comprenez, c’est-à-dire que c’était la trame narrative pour elle, c’était à partir de là.

(de la salle) Oui, tu disais que c’était qu’elle avait dit « c’était mon cordon ombilical » et je voulais savoir à quel moment de sa vie elle avait décidé de tourner ça ?
Là c’est quand Mathieu son fils a un an et demi et qu’elle n’a fait pas de film depuis un moment.

Et avec son mari, ça va ?
Avec son mari ? Oui… là ça allait mais… là où ça n’allait pas c’est un film que j’aime beaucoup, c’est un film qui s’appelle Documenteur qui raconte le moment où ça ne va pas avec son mari. Après ils se sont retrouvés, mais le moment où ça n’allait pas, ça a donné un de ses meilleurs films en tout cas que moi j’aime beaucoup qui s’appelle Documenteur, et en anglais Emotion picture.

Est-ce que c’est un film qui a pu nourrir les vôtres, même si on voit qu’il y a surtout des différences il y a des choses qui ont pu résonner dans votre travail ?
Comme chef opérateur ou comme réalisatrice ? Parce que c’est quand même différent.

Réalisatrice ?
Comme réalisatrice… J’ai pris le contre-courant de ce que je fais comme chef opératrice, parce que justement, les films que je fais, à partir du film Circoncision et tous les films sur le langage après je me suis privée de justement de tout ce qu’il y a là, la vie des gens, je voulais vraiment me… je voulais vraiment me heurter à comment filmer la parole sans vraiment y aller en direct, frontalement et c’est ce que je continue encore, mon dernier film est pareil, mais ce n’est pas pareil non plus parce qu’il y a tout un travail qui se fait pendant un an ou deux avec tous ceux qui seront dans le film, donc ce n’est pas pareil mais justement c’est le contraire… On croit que ce sont des documentaires mais pour moi, ça ressemble plus au travail que font les acteurs au théâtre… Donc ça n’a pas non… mais je ne peux pas dire mais ce qui continue quand même, tout ce qu’on voit c’est que dans tous mes films on voit ce qui a rapport à la photographie, c’est-à-dire qu’on voit les gens qui sont debout, le cadre dans le cadre aussi.

Oui, c’est peut-être votre touche de chef-opératrice sur le film, ça, le cadre dans le cadre...
Oui peut-être, mais c’est-à-dire que c’est toujours un va et vient entre si le travail se passe bien, c’est qu’on ne peut plus savoir qui a fait quoi, parce que ça suffit aussi c’est comme jouer du jazz, on ne sait pas qui fait quoi exactement, qui lance on ne peut pas dire c’est une note, une note, une note et on ne peut pas dire, alors évidemment chaque film va nourrir celui qui va venir après, mais on ne peut pas tellement dire, ce n’est plus un plus un…

(de la salle) Vous avez coupé ensemble ?
Monter on dit, monter…

Oui, vous avez monté le film ensemble ?
Chez les Allemands on coupe, chez les Français on monte hein (rires) Non, mais ce n’est pas moi, non, c’est Agnès, mais Agnès met beaucoup beaucoup de temps pour monter, je dis « met » mais elle est quand même là, elle est là, donc oui, elle mettait beaucoup de temps pour monter ses films parce que c’était toujours tout un travail d’associations d’idées, après elle avait d’autres idées, et elle contrairement à moi, parce que pour moi le film ne se passe pas au montage, pas du tout dans mes propres films, mais elle, elle travaille beaucoup, et même elle va tourner encore après parce qu’elle a trouvé une association d’idée et qu’elle veut montrer… Mais je ne sais pas combien mais des mois et des mois…

(de la salle) Merci pour le film… Je voulais savoir si le film s’inspire de la photographie ou plutôt de l’histoire du cinéma parce qu’on voit toutes ces références à la psychologie photographie, allemande ou même je pense à l’expo… On ne donne pas leurs noms mais on sait où les trouver, c’est comme un album de famille, je voulais savoir ça.
C’est toi qui fais tout le travail là, hein… Mais je ne crois pas qu’Agnès ait des références intellectuelles, non, elle a des références à la peinture, à la photo aussi mais beaucoup à la peinture et le travail avec Agnès se fait beaucoup après, parce que j’ai fait quand même cinq films avec elle et on allait beaucoup, beaucoup ensemble voir des expositions, et pas forcément pendant le film mais dès qu’on était quelque part dès qu’on arrivait dans une ville on allait en voir beaucoup, et elle a fait aussi l’école du Louvre et pour elle c’était vraiment… et pour moi aussi d’ailleurs jusque maintenant avant que je commence un film je vais toujours au Louvre, mais c’était pour voir comment le peintre, le portrait, comment la lumière; etc. etc. La référence est beaucoup la peinture.

Est-ce qu’on peut dire que c’est une sorte de peinture vernaculaire parce que ça ressemble à ce qu’il y a juste à côté comme exposition…
C’est encore toi mais c’est formidable de faire ces associations-là, c’est bien oui justement…

Est-ce qu’on peut parler des portraits photographiques ?
Elle a la chance d’habiter la rue Daguerre et il faut le faire…

Il y a un montage aussi qu’elle faisait manuellement, avec un cache…
Oui, oui, avec Agnès tout est artisanale, tout se faisait manuellement, elle avait un cache qu’elle enlevait, qu’elle mettait oui, pas du tout elle était comme ça toujours du côté artisanal, beaucoup, comme la couture… C’est une sorte de patchwork, vous voyez, un peu comme ça, couture et patchwork.

Vous avez parlé de « retake » après le tournage, c’est par exemple le magicien, par exemple, retournage après, en cours de montage ?
Oui, il y a des petits… oui, mais vous savez c’était en 75, et je me rappelle qu’avec le magicien on avait refait le plan, par exemple avec la Joconde, oui ça je suis sûre, et aussi avec la boite, les boites de choses comme ça, oui mais elle a eu comme des idées et donc après qu’on ait tourné, elle voulait encore les boites… Bon, tout comme ça… Et je me demande si on n’avait pas tourné avec la fille, là, sur la patinoire aussi, oui j’ai l’impression que c’était plus tard, et je me dis maintenant que ce n’était pas nécessaire, mais justement moi je suis trop conceptuelle, disons, je crois que si on dit 80 mètres c’est 80 mètres et c’est tout, moi je l’aurais enlevé. (rires)

(la salle) je voulais savoir ce que vous pensez du rapport entre le quotidien et le rêve chez Agnès
Chez elle, est-ce que je dois faire sa psychanalyse … ? (rires) Non, ce que je sais c’est que moi à l’époque je faisais une psychanalyse et elle ça l’a beaucoup troublée, elle voulait tout le temps savoir ce qui se passe, et pourquoi je fais ça, et pourquoi j’en ai besoin et moi j’essayais d’expliquer, je disais que au centre de la psychanalyse, c’est le rêve et le travail sur le rêve, voilà alors moi je prétends que c’est sur l’écran, c’est-à-dire que elle a fait comme si elle était contre et tout ça, mais après elle a demandé à tout le monde de quoi il rêvait… Et les gens, ce qui est marrant c’est que les gens ils ne parlent pas du rêve de la nuit, ils ne parlent du rêve que éveillés… Alors le rêve, pour les gens à part peut-être le coiffeur, ou celui qui a fait le somnambule, oui je crois qu’il y a quelque chose comme ça, mais moi je me rappelle que ça l’a beaucoup intriguée le pourquoi je vais en analyse, que les artistes ils n’ont pas besoin d’aller en analyse de ça…

(la salle) le film a l’air de se poser dans une quotidienneté objective extraordinaire, mais en fait il devient une fiction
Une vision ?

Une fiction…
Ah oui, bien sûr

Un rêve, les gens commencent à révéler quelque chose d’eux-mêmes, et il me semble que le personnage de l’illusionniste introduit cette dimension surprenante…
Oui mais c’est ça le problème de la fiction, c’est ça…

Qui fait que le film n’est plus un documentaire, c’est quelque chose de très poétique, elle dit quelque chose…
Mais oui, bien sûr… Mais moi je ne sais pas ce que c’est que la réalité etc. parce que déjà, dès qu’on met un cadre autour de quelque chose, c’est déjà une fiction, hein, pour moi, donc après qu’est-ce qu’on appelle fiction ? Pour moi, ce n’est pas très… Et elle, elle a pris à bras le corps l’illusionniste, elle a commencé le film par là, et elle savait que ça devait aller par là intuitivement, donc elle a commencé par là, intuitivement, et après elle a suivi mais c’est ça la force d’Agnès justement, elle a fait de ça une fiction documentaire etc. Comme d’ailleurs Chantal Akerman aussi, il n’y a pas… c’est-à-dire qu’un jour on va faire ce qu’on appelle fiction et un jour ce qu’on appelle documentaire.

C’est vrai que le film, avec le magicien, serait plus dans la ligne Lumière du cinéma mais le magicien introduit Méliès…
Oui…

Éventuellement, ces références cinématographiques, cette cohabitation de ces deux lignées
Oui, mais c’est ça avec Agnès, elle allait de l’un à l’autre oui, et justement moi c’est ce à quoi je tiens beaucoup, et j’aime ça beaucoup.

Lille : au neuf de la rue

Il s’agit juste d’un fait divers.

Il faut commencer par faire une soustraction : l’affaire se déroule pour une deuxième fois (l’affaire, je veux dire l’émission de radio) il y a une semaine – il s’agit d’une rediffusion d’une émission d’octobre 2016 – ça ne change rien je sais bien mais on s’y perdrait facilement : c’est une histoire de pertes. Ça se passe ici

image mai 2008 – droite cadre le volet vert

La maison de briques est déformée – elle est assez symétrique, la fenêtre du premier étage « bow window » est déformée, on le voit aussi aux raccords défectueux des gouttières. La maison de briques joue un premier rôle.

La maison d’à côté est occupée (au minimum) par deux avocates (ce n’est pas sûr qu’il s’agisse de leur cabinet, je ne suis pas allé chercher trop loin non plus). Volets fermés, de bois foncé.

image de mai 2011

mais ici rideaux jaune d’or.

Il faut évidemment faire confiance au robot pour les dates de prises de vue. Mais mettons. On apprend par la voisine que des pigeons par centaines ont envahi les lieux de la maison voisine. Durant plusieurs mois, elle tente d’alerter mairie et autres services municipaux : elle raconte que finalement, en octobre 2012 un inspecteur de salubrité de la mairie finit par venir.

image mai 2012

(on remarque que la dame voisine a fleuri ses bacs). La maison qui nous occupe est au numéro 9. L’inspecteur vient voir, passe par l’arrière , entre dans la maison, monte à l’étage et découvre…

image juin 2014

un squelette… On remarque sur l’image de juin 14 que les fenêtres sont toutes closes (contrairement à toutes les précédentes), la porte changée, le volet du bas forclos. Les services de salubrité sont passés par là. Le squelette est celui d’un homme mort voilà plus de quinze ans…

image de juillet 14

On a changé le rideau de la fenêtre du bas. On ne sait pas : l’homme devait être un espagnol; on a retrouvé sa trace grâce à son acide désoxyribonucléique : il est mort de sa belle mort comme on dit. Tant mieux pour lui, que dieu le garde (comme disait ma grand-mère). L’Espagne, il l’ a fuie des dizaines d’années auparavant; il se peut que ce soit à cause du cette ordure de franquisme, il se peut que l’homme ait voulu se cacher.

image août 2017

Mamerto Rodrigués était son nom, on l’appelait Alberto, il était irascible, secret, ne voulait pas qu’on sache qu’il était là ( le robot a capté une ouverture de fenêtre…).

image septembre 2018

Il ne voulait pas non plus qu’on se gare devant chez lui. Il est mort là, seul. L’image plus de vingt ans plus tard, de la maison où il décéda – apparemment toujours vide…

image octobre 2018

On a changé la porte d’entrée, on a ouvert au deuxième étage. Quand à Alberto, ses restes ont été incinérés – on ne sait où ses cendres ont été épandues – une histoire ordinaire, probablement sans secret, qu’on oubliera peut-être… C’est à Lille que ça se passe

(de l’Espagne à Lille, qui peut savoir s’il est passé par des camps de réfugiés, par où , qui l’a connu ? Mystère, il a disparu…)

Alger : « Papicha »

à gauche, Shirine Boutella dans le rôle de Wassila; à droite Amira Hilda Douaouda dans celui de Samira – toutes deux adorables

Papicha, c’est un surnom qu’on donne aux jolies jeunes filles en Algérie – belle gosse, ou joli ptit lot quelque chose dans le genre (c’est le cas de le dire : le genre, voilà). Elles sont quatre ou plus, elles suivent leurs études en internat – quelques unes font le mur. C’est assez ordinaire, sinon que ça se déroule en Algérie durant les années de plomb (daté en 1997 – de nombreuses scènes mettent en scène ces ignobles personnages (femmes ou hommes, voilà qui vous a un air nouveau cependant) qui veulent par la force des armes faire triompher leur idéologie imbécile).

à gauche Wassila, à droite Nedjma (Lyna Koudhri)

Mais non, ces jeunes femmes veulent vivre libres, insouciantes, désirantes et désirables, insoumises. Les garçons (peu nombreux, mais seconds rôles assez machistes)

draguent assez gentiment – mais l’idée qu’une femme puisse être libre les insupporte. Dommage sans doute. Elles sortent, en taxi se refont leurs maquillages.

Vivantes.

Cependant, les meurtres terribles (la soeur de l’héroïne, Linda (Meriem Medjkrane), meurt en pleine rue – scène magnifique) et les exactions, les chantages, les pressions sont partout. Les hommes dominent, les femmes se voilent et se taisent. Mais parfois tuent, elles aussi.

Les jeunes files jouent pieds nus au football, entre elles, on se bat – en réalité, la bataille est peut-être perdue mais on la livrera quand même.

Il y a l’héroïne Nedjma (Lyna Khoudri) qui veut devenir styliste – tout tourne d’ailleurs, en réalité aussi, autour des vêtements – il y a ses amies qui défileront habillées de ses robes, il y a la directrice de l’école (Nadia Kaci). Dans Alger, la ville qu’on voit parfois.

Il y a beaucoup plus : il y a que le film, sorti à Cannes et assez remarqué pour être projeté ensuite à Paris et ailleurs, ne sortira pas en Algérie. Pourquoi ? Mystère (pas épais le mystère, vraiment pas : mais tous les vendredis on réclame à corps et à cris la liberté – de vivre, tout simplement). Et ce qui est plus surprenant peut-être (le film est une coproduction entre la France, l’Algérie, la Belgique et le Qatar), le film représentera l’Algérie aux Oscars dit-on (février 2020).

Nous verrons. Ce qu’on en retient, cependant, c’est cette grande douceur qui peut exister dans les relations entre humains (parfois) quel que soit leur genre…

ici Nedjma avec sa mère qui fait cuire des beignets

Papicha, un film de Mounia Meddour.

Paris : « Deux moi »

Ça commence, mais ça ne commence en réalité pour personne : il s’agit de poser une musique sur la platine et d’écrire ce qu’on pense d’un film. C’est un peu compliqué parce qu’on doit naviguer entre une vague suggestion (il y a toujours, il me semble, cette vague odeur d’influence qui dégobille quand on parle des médias), un désir de faire partager ce qu’on aime, et un élan critique qui se permettra de pointer, ici, là, ailleurs et encore ailleurs, les défaillances de certaines scènes, acteurs, scénarios – le cinéma est trop complexe pour laisser la place aux amateurs, c’est vrai, mais malgré tout, c’est un passe-temps destiné à tout le monde et n’importe qui – ça devrait être remboursé par la sécurité sociale, mais non (souvenez-vous de cette chanson magnifique).

Mais d’abord la photo d’entrée de billet : il s’agit d’une actrice qui a débuté sa carrière vers soixante treize ans avec ce réalisateur, comme silhouette – elle incarne ici une utilisatrice d’internet (je suppose) qui a reçu des milliers de pastilles d’ecstasy à la place de ce qu’elle avait commandé pour ses cent ans (c’est assez plausible, dans le film) : elle parle au téléphone au type à droite de l’image (3° image ici) (barbalakon, c’est normal – pardon) – il exerce ce métier et répond au téléphone pour le wtf livreur. Cette image de Renée est mise en exergue parce qu’elle nous a quitté, Renée Le Calm donc, en juin dernier (elle avait cent piges), alors comme elle est marrante – et qu’on l’a aimée assez dans « Chacun cherche son chat » (un des films commis (en 1996) et réalisé par le type à gauche de l’image numéro 3, Cédric Klapisch) : un hommage.

Et puis ça commence vraiment : ça se passe à Paris.

On ne le voit pas exactement d’ici, mais les deux protagonistes du film (ces deux fameux « moi ») habitent l’un à côté de l’autre au centre géométrique de cette image (à peu près : un zoom avant indiquera (mais c’est pour plus tard).

Allons.

Entre eux deux, c’est Ana Girardot (Mélanie) ; le type de droite c’est François Civil (Rémy). C’est une histoire ordinaire disons. Deux personnes, jeunes gens la trentaine, assez solitaires mais pas tant que ça, tentent de survivre dans ce monde idiot. Puisqu’ils sont un peu dans une mauvaise passe (un peu seulement il faut dire : ils dorment mal, simplement), ils vont consulter.

Normalement « consulter » est un verbe qui, si on ne le fait pas suivre de celui ou celle qu’on va consulter (garagiste, voyante), ou quelque chose comme son compte en banque ou son courrier présume qu’on va chez un psy. C’est le cas pour les deux : ils dorment mal, ils vont consulter.

Lui un homme (François Berléand, compréhensif et doux)

Elle une femme (Camille Cottin, compréhensive et douce)

Les dispositifs sont un peu différents : elle est allongée (en analyse), lui est assis (face à face en psychothérapie) (on shunte sur le fait que, ni lui ni elle n’acquitte son dû au professionnel – mais il s’agit d’une de ces ellipses dont le cinéma aime à se parer : dépêchons).

Ces séances émaillent le film, mais comme pour quiconque, elles n’empêchent pas de vivre

même si c’est un peu difficile

et il faut aussi quand même manger

c’et sans doute le plus intéressant ou rigolo, ou encore bien trouvé du film (c’est, en réalité en ça que le scénario est formidable) : souvent ils se croisent

souvent ou seulement de temps à autres, mais ne se rencontrent pas

dès le début à la pharmacie

dans leurs maux mêmes, ils se ressemblent (et puisqu’il s’agit d’une romance – je ne l’ai pas encore dit, mais oui, c’est une romance – une histoire d’amour disons – c’est de cette tension dont il s’agit : la rencontre entre les deux protagonistes, menée avec simplicité et finesse). Il y a ce lieu, cette épicerie

quelque chose de l’orient

et l’épicier (Simon Abkarian, dans le rôle : magistral) – une espèce de témoin –

lui qui les connait tous les deux – comme un lien, un passage, un sas – les deuxièmes rôles, ces anges gardiens du cinéma –

(au fond de l’image ici, le pharmacien – Zinedine Soualem – c’est le quartier, le monde où ils sont vivent) (et c’est surtout aussi et vraiment Paris, la ville cette ville cosmopolite ouverte et hospitalière) (Paris, c’est ça) – cette image de l’épicerie prise par le robot

c’est ça, c’est Paris

(pour mémoire : on trouve en bas de ma rue cette enseigne aussi)

Deux moi, un film de Cédrick Klapisch.