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18 mars

dimanche 22 mars 2020 - Ce qui nous empêche

Tout ça depuis le début, le soir je vérifie sur Twitter que je n’ai rien raté dans la journée, aucune information. C’est absurde je ne rate déjà rien la journée, je vois tout passer. Le soir, erreur fatale, rapport au sommeil, à l’insomnie, bien sûr. Twitter pour les infos est anxiogène comme DoctoLib pour la santé. Et depuis Wuhan partout où le virus est passé, les mesures sont impressionnantes dans leur logique, jusqu’à l’Italie, l’Espagne, la France, ce qu’on a vu c’est une réduction du monde enflé et marchand au nécessaire, à ce qui est juste, à ce qu’il faut pour vivre. Diminution des émissions de gaz toxiques, krach boursier, abandon de privatisations (ADP), nationalisations d’entreprises privées (en vue, en cours, à voir : Al Italia, Air France, PSA ?), nationalisations d’hôpitaux privés en Espagne, 2 milliards débloqués ici sous le nom de "budget d’urgence", la recherche mise sous perfusion de liquidités — je me souviens de "il n’y a pas d’argent magique" que Macron en 2018 lançait à une soignante dans un hôpital public, alors que précisément c’est l’essence même de l’argent d’être magique, mythe partagé entre les humains, objet inventé auquel nous prêtons collectivement, par contrat, des fonctions, des propriétés. On voit sur quoi l’on vit vraiment, on voit sur quoi repose le capitalisme (si l’on appelle ainsi le mythe partagé globalement partout sur la Terre et qui consiste à organiser comme on voit qu’il l’organise la société, le travail, l’économie, toute la vie) et ça ne tient pas quand il s’agit d’urgence vitale. C’est une idéologie mortifère que la concurrence, la privatisation et la concentration de capital, la loi du plus fort. Éliminez tout ce qui nuit à la vie et vous éliminez tout ce qui fait le capitalisme : production d’artefacts inutiles simplement destinés à être consommés puis détruits pour être rachetés (eux ou d’autres) ; trajets inutiles et pollution qui va avec ; exploitation animale (les marchés d’animaux sauvages sont interdits en Chine désormais, et la Chine savait que ça lui pendait au nez depuis 2003, le SRAS, une zoonose aussi, et se préparait, d’où sa réussite, son efficacité, mais pas nous, pas par chez nous, rien n’était prêt ; ensuite on pense à un schéma qui ressemble fort : la crise sanitaire à venir des antibiotiques donnés aux animaux pour l’abattoir et qui renforcent toutes les bactéries, en se demandant si cette crise-là va prévenir cette crise-ci) ; bullshit jobs ; privatisations... On voit aussi L’État finir par organiser le confinement, car l’auto-organisation en système capitaliste laisse décider les intérêts privés : l’économie doit continuer de tourner, les transports de rouler, les travailleurs d’aller bosser, etc. Chacun a ensuite forcément une tendance individualiste qui suit ce mouvement global imprimé au départ. Et devient plus visible aussi l’incurie de nos gouvernants, tergiversant à la suite de ces intérêts privés, tergiversant par bêtise et égoïsme sans doute aussi, sans autre éthique que l’habituelle assise de pouvoir, d’intérêt personnel, et c’est ça qui a ralenti la mise en place des bonnes décisions basées sur des faits scientifiques (certes difficiles et longs à mettre en place mais plus ça arrivait chez nous plus la somme de réflexions sur le sujet était fiable, et puis encore une fois : SRAS, 2003) je veux dire ces caprices de Roi, pour le dire vite, nageant dans le business as usual et pensant aussi, peut-être, comment tirer parti, pour eux-mêmes, ces gens-là, pour leur idéologie mortifère, du choc qui arrivait. Et dans le domaine de la littérature qui m’est cher, les éditeurs découvrent les bienfaits du numérique, les acteurs de la culture ceux de la gratuité. Et on pourrait continuer comme ça dans tous les domaines. On s’occupe de ses enfants, on les écoute, les redécouvre, on parle à ses voisins, on se demande "comment aider ?" On fait vraiment attention aux courses, à ce qu’on mange, on ne jette plus, on met moins de dentifrice sur la brosse, on entend les oiseaux chanter, on respire mieux, etc. Je sais que je suis né et ai grandi dans la pire période de consommation sans limite que l’humanité ait connu, c’est ça qui m’a formé, c’est difficile de se déconstruire. Ensuite on pourrait vivre autrement, sur les ruines de la frénésie capitaliste qui brûle la planète, asphyxie l’atmosphère et les malades aux urgences, en un mot : tue. Tue, dans une crise à la fois écologique : pratiques de déforestation, d’exploitation animale, de pollution ; et politique : des choix funestes du financement de la santé et de la recherche, des politiques publiques, le profit sans fin par l’exploitation des ressources et des travailleurs, les institutions politiques elles-mêmes et comment elles sont un jeu pour un exercice de l’État qui n’est concerné que par lui-même et pour lui-même, hors-sol. Et toutes ces forces globales, sociales, économiques, de temps long, se retrouvent mises en lumière dans l’espace immédiat, le temps court et d’urgence provoqué par la maladie contagieuse. Sortir de ça et on pourrait vivre autrement, une révolution, un monde de proximité, de culture, de gratuité. C’est à ça qu’on assiste, à la démonstration que soustraire le capitalisme à nos vies les libère ; continuer comme ça une fois que le virus sera également soustrait à l’équation, refuser de leur rendre le Pouvoir, et additionner nos vies, libres.