Nos îles numériques

entre connexion et déconnexion

Frôler l’overdose

mardi 15 décembre 2020

Je ne sais pas trop dire pourquoi ma relation avec les objets connectés en est arrivée à se rapprocher singulièrement de l’overdose, du basta, du faut faire quelque chose, du faut arrêter ! Je m’en alarme depuis des mois maintenant de ce trop-plein, connecté que je suis dans une ribambelle de lieux : à la maison - allongé au lit, assis à mon bureau, posé aux toilettes, vautré sur le canapé du salon - dans la rue, dans la salle d’attente du dentiste, au restaurant en attendant mon couscous-légumes, en faisant la queue devant la boulangerie, etc... Plusieurs fois par jour, je me dis qu’il va falloir mettre un stop à cette boulimie et pourtant, je continue. Je me connecte, je clique, je surfe, je découvre, je scrolle, je poste, je publie, je tweete et je retweete. Je me prends souvent à râler devant le monde tel qu’il s’affiche sur mon écran : tant de violence - images et mots - de petites querelles, de bêtise, de dérisoires affichages d’egos, de jeux de mots en bois, bref, tant de vacuité alors que filent les jours et les années. J’ignore combien de temps cela me prend chaque jour de participer à ce remue-ménage connecté. Peu importe. Mon malaise n’est pas d’ordre comptable. Il est avant tout lié à la prise de conscience d’une sorte d’écœurement teinté d’une once d’absurde. Je le rapproche, ce malaise, de ce que j’ai ressenti de plus en plus nettement il y a trois ans, lorsque je me suis progressivement détourné de la consommation de viande, avant de devenir végétarien. Il y eut en moi de moins en moins de plaisir à manger du "cadavre animal", puis un dégoût progressif, assorti d’une prise de conscience aigüe de la souffrance des animaux que ma consommation impliquait. Puis vint aussi la conscience du mal que je contribuais à causer à la planète. Concernant ma vie connectée, le plaisir n’est plus vraiment au rendez-vous - exception faite de rares et précieuses merveilles dénichées de ci de là, notamment sur et grâce à Twitter. Et sans parler de souffrance, je note une prise de conscience de plus en plus nette qu’en me connectant autant, je gaspille bien trop souvent mon temps, en marge de ma vie désirée sur ma planète choisie : chérir mes proches, regarder vivre les oiseaux et les nuages, promener près des arbres et de la mer, écrire mes histoires sur mes carnets, lire, continuer à apprendre à jouer du violoncelle. Du coup, oui, je réalise qu’il devient urgent de dire assez ! Le changement, c’est pour quand ? Comment vais-je m’y prendre ? Quelle réaction face à l’overdose ? Me déconnecterai-je une bonne fois pour toutes ? Ou bien déciderai-je de me réfugier sur une jolie et paisible île numérique que je dessinerai en conscience, loin de toute boulimie ? Aujourd’hui, entre ces deux choix, mon cœur et ma raison balancent. Peut-être plus pour très longtemps…

Éric Schulthess