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La Ville est sous mes pas
Elle a disparu derrière l’arrêt de bus.
Quelle plaie !
je suis déjà trempé.
Je ne vais pas courir tout de même !
Elle va me repérer.
Pas maintenant, pas si près du but !
Elle s’éloigne...
Bah voyons !
Les parapluies me bouchent la vue maintenant !
Où est-elle ?
Je n’aurais pas du attendre...
Je vais la perdre
Pardon madame...
Quelle conne celle là
Elle peut pas faire gaffe avec sa poussette ?
Mais où est elle ????
Ah, c’est elle ?
Oui c’est elle en bas des marches.
Pardon...
Pardon...
La vache, elle a la santé
Jamais je ne pourrai la suivre dans cet escalier !
Le pont !
elle ma retrouvée ! là ! elle est là .L’ombre
je la sens , je sais
je dois courrir plus vite. je l’ai vu , je sais quelle est derriere moi
je risque la mort je ne peux pas m’arreter
il faut que je lui en échappe . Vite ! je dois courrir plus vite
que m’a dit l’ancien déja
ah oui ! "passer prés du lambadaire"
Epaissir le cil noir qui monte l’escalier
en un trait large et haut
de rondeurs humaines
rythmé par ses talons.
Mes yeux pourront s’accrocher.
Me rapprocher de nouveau
marche à marche
entrer dans sa danse.
Trop rapide
trop solitaire
trop parfaite.
Me rapprocher
jusqu’à son souffle vibratil.
Le mien se refuse
mes pieds heurtent
mon genou crie
les courbes noires fondent
le cil
de nouveau, loin
depuis combient de temps
longeons-nous les rails ?
J’attendais de croiser un panneau stop
ça fait plus d’une heure que je tourne
j’en ai plain des pattes et elle
elle court comme un lapin de garenne au milieu des tours
On dirait qu’elle traverse les murs
pendant que je crache mes tripes
Ah ! la voilà. Allez mes jambes
au boulot
Courir, c’est toujours du temps qui passe
un contre la montre vers cette silhouette
qui change de forme à chaque carrefour
qui disparait au moindre lampadaire
Le quai se prolonge dans l’ombre de la passerelle.
Les pavés luisants et inégaux
prennent une couleur de terre
L’air froid et humide
Ammoniaqué
Charrie ses remugles d’urine
Au plus profond de l’ombre.
Les cartons entassés sur les murets
couverts de mousse
gardent la trace des corps.
Au loin sa silhouette s’engage sur la rampe.
Elle aura bientôt rejoint la lumière
Le soleil, la chaleur,
Le tumulte des autos
Le souffle des passants
Agglutinés, patients
A l’entrée du passage piéton
Vite, le rdv est au lampadaire devant le café de la bibliothèque.
Je le reconnaitrai facilement, il aura un gilet jaune.
Quel idiot, ce type !
Le jaune n’est plus une couleur facile à porter, surtout le samedi.
Qu’est ce qu’il peut bien avoir dans la tête.
J’espère qu’il aura bien toutes les informations avec lui et qu’il a bien appris les codes.
Il ne doit pas être un pro pour se faire remarquer comme ça !
Je ralentis car je ne suis pas loin.
Ne pas être en avance pour ne pas éveiller les soupçons.
C’est la première fois que je prends le temps, d’habitude j’évite de m’attarder.
Les dalles sont irrégulières sous mes pieds.
Quelque chose d’irrégulier ici, ça fait du bien.
C’est incroyable tout ce vert au pied des arbres, ce vert voulu et planté pour estomper le gris.
Du coup j’en oublierai presque le jaune.
J’ai le lampadaire en point de mire mais aucune tâche jaune.
Ca y est, il est là.
Il a l’air con.
Pas une tête à retenir des codes.
Je m’approche et lui montre la clé usb que je vais devoir lui donner.
Nous marchons jusqu’aux escaliers pendant qu’il égraine les codes à la fonction enregistreur de mon téléphone.
A ma gauche les rails
Je me rapproche je la touche presque
Elle est si près l’air vibre de ses gestes
Et puis soudain une sirène
Ce hurlement qui transperce la terre,
Fend les branches des arbres
Déchire le ciel
Je tourne le regard
La valse des voitures
La froideur des murs
Quelques pavés défoncés
Et ici un peu de vie
Touche de vert au milieu du béton
Je me rappelle alors ma quête
Objet de désir tant convoité
Pourquoi m’être ainsi détourné ?
Je la cherche des yeux je l’aperçois
C’est déjà loin que je la vois
Cette silhouette évanescente
Toute drapée de transparence
Et je reprends ma course
J’aborde la passerelle
Les rails grincent à faire crisser les dents
je cours derrière le train comme dans un film d’amour
comme dans un western spaghetti
la silhouette se faufile de film en film
je me sens bloqué en gare
fausse piste. Je repars
dehors les voitures bloquent ma course
le héro est toujours empêché
la criminelle est en cavale
barrière, feu rouge, le monde entier la défend
Aller marcher à même les rails
Elle en a eu l’idée juste avant
Suivre
et
La ville comme une échelle horizontale
de traverse en traverse
les bruits de nos pieds se répondent
Dans combien de pas le tunnel ?
Dans combien la passerelle ?
Derrière un arrêt de bus
à l’abri du vent
Mon regard reste posé sur cette silhouette
qui a décidé de mettre les voiles
Empêchez-moi de la suivre !
Trop tard
Elle grimpe les escaliers sur le trottoir d’en face
A peine son pied touche la dernière marche
que moi je commence à les monter
En haut quelques arbres m’attendaient
Ce peuple rare dans cette ville
pleine de bâtiments, de béton
Vite, la silhouette ! Où est-elle ?
Les rues se ressemblent
Pas là pas ici
Les bâtiments sont les mêmes
Trouvé
Devant le passage piéton
Au-dessus de cette vitrine se trouvent plusieurs étages
je lève la tête
les hommes s’entassent
plusieurs couches plusieurs strates
la place semble manquer
une ville plus large plutôt que haute
je déambule dans un profond dédale
la tâche n’est pas facile je gravis et je descends sans arrêt escaliers et étages
je longe maintenant une barrière qui me protège d’un vide
je regarde mon plan en deux dimensions
il n’est plus suffisant forcément
je cherche un horizon je traverse une rue et un passage piéton
je cours sur une rampe pour prendre de la hauteur
celle de ce pont que j’aperçois au loin
il enjambe une avenue trop large
je suis épuisé et le souffle me manque
cette déambulation n’est pas adaptée
je la voudrais plus douce et moins accidentée
j’aurais dû me rendre à l’arrêt de bus
Tourner à l’angle de l’arret de bus ! tourner à l’angle ...
elle est là ! enfin
ça n’a pas été facile aujourd’hui
je me demande si elle s’en doute
non ! non ! c’est impossible
je suis discret , je ne fais aucun bruit
je me fonds à la masse , au brouhaha constant de la ville
non elle ne peut pas savoir ! je n’existe pas pour elle
d’ailleurs elle n’a rien acheté. pourtant elle parlait ce matin d’une poupée en vitrine
une vitrine
je marche et marche pour elle
une vitrine
et sa poupée
fragile, muette pour tout d’autre que l’enfant
une vitrine
encore puis encore
pour un homme et une femme
en son reflet retrouvés, enlacés
sans peur ni barriéres, rien pour empecher
Silence de tous les pixel sous la passerelle
Est-elle encore dans le tunnel ?
La lampe de mon portable faiblit
Je ne connais pas la longueur du noir
.........................................
ne plus l’entendre me fait peur
..........................................
non !
......
Une voix venue de l’ombre
......
la sienne ?
je ne l’ai jamais entendu
je ne sais rien
vraiment rien
je m’ accroche à mes pas accrochés aux siens
un gris dans le noir
un blanc soudain le gris
dehors
je marche aveuglé sur un pont
une jeune fille
dans la rue
devant moi
en manteau de léopard
plus vieille qu’elle
est sorti du bus
de l’arrêt de bus
et claque
claque
ses hauts talons
sur le béton
du trottoir
sous ses bas élimés
devenus bas résilles
elle longe les grands bâtiments
les grandes enseignes
on se bouscule devant elle
pour ne pas la bousculer
les voitures klaxonnent parfois
peut-être pour elle
certainement pas
mais on le croirait
comme on croirait
qu’elles accélèrent
à son niveau
puis ralentissent
pour l’explorer
elle n’est pas vraiment rousse
elle à été blonde quelquefois
tout le monde le voit
à la paille de ses cheveux
son carré long
qui n’a jamais visité la campagne
que le soleil ne reflète pas
et qui flottent pourtant au vent
unanimement
à la manière d’un casque
comme pour se protéger
quand elle tourne la tête à droite
quand elle tourne la tête à gauche
avant de traverser
le passage clouté
Feu vert pour les piétons
qui traversent
Une foule l’entoure
je la perds de vue
La foule avance vers l’université
Elle est avec eux
Je les poursuis
Une marche puis deux
J’en rate une
Continuons
A droite à gauche
Recherche à travers le campus
Un panneau stop, est-ce un signe ?
Sur le rond-point c’est l’agitation
Couleur, gilets, slogans, fumée
Elle se tient là, au milieu de la foule
Le passage est bloqué
Je prends le temps de respirer
File de voitures arrêtées,
Ronde des motos escargots
Temps suspendu
Mouvements interrompus
Quelques mètres plus loin passe sans effet le feu rouge
Passage piéton....
Un convoi, sirènes hurlantes
Surgit du boulevard
Bousculade, Attention !
Coups de frein
La foule s’affole
Recule
Incrédule.
Les lumières défilent
Le temps s’arrête
Un instant
Là bas
elle s’est retournée
Un instant
Puis a repris sa route
Bien avant que les
Trois véhicules
tout en gyrophares
En fanfare
N’aient franchi le Pont
il a passé la barrière j’y crois pas Retour ligne automatique
un rendez-vous à 15H30 , prés du café rue Saint jean
il n’est pas venue. Ne m’a pas prévenu
que fait’il ?
me faire ça à moi ! et aprés tout ce temps...
il n’en veut plus surement . De moi , de nous . Il n’en veut plus
le voila prés du chemin , quartier pigalle
c’est bientôt la sortie, bientôt la fin
il a passé le rond-point j’y crois pas
Ma tête, direct, dans la vitrine
C’est quoi ce jeu à la con
je ne sais pas pourquoi
je ne sais pas qui
aimants démagnétisés nous balayons la carte et le territoire
je sais pourtant
lui, elle, aussi
une folie qui se creuse
irrepressible
la mienne
la sienne en miroir
dans le verre en araignée de la vitrine
Je savais qu’en arrivant au grand rond-point
ce serait l’attraction
moi qui cours en rond, elle qui vole devant moi
les voitures s’arrêtent, une chance
les piétons nous mitraillent
pourvu qu’ils ne la reconnaissent pas
je voudrais sortit du rond
3e sortie je m’exfiltre
il faut qu’un de nous deux cède
Mais elle a déjà pris la passerelle et plongé dans la Seine
vers d’autres tourbillons
Cédez le passage il n’en est pas question
à qui le céder et pourquoi
c’est le mien j’en ai besoin je suis pressé j’ai la priorité
je suis piéton et cette ville je la connais
je sais d’où je viens et je sais où je vais
je longe ces vitrines sans les regarder pour ne pas être tenté
ce passage est à moi je ne le cède à personne
après tant d’efforts je le garde car il va me servir
en effet plus tard j’ai prévu de courir
les autres tous les autres n’ont rien à dire
une poussette un bébé ce trottoir est à moi
il déroule son ruban à chacun de mes pas
j’y suis presque poussez vous donc
je bouscule et titube mais je le vois enfin
là-bas au loin, le rond-point
Le terre-plain central du Rond-point,
Petit bout de terrain prétentieux,
Etale ses bégonias en arabesques inutiles.
Elle traîne dans la contre-allée
Sous l’ombre des platanes
Hésite près du Kiosque à Crêpes
Manquait plus que ça !
J’ai l’estomac dans les talons
et le gosier comme une falaise
Elle regarde sa montre
Hésite encore
puis soudain bifurque
vers les jardins qui longent l’église
Je reste en plan
Stoppé dans ma quête par la ronde
des automobiles
Je prends mon mal en patience
Derrière l’arrêt de bus
Ce lampadaire si froid si froid
Si fin et pourtant à chaque fois
Qu’elle en croise un encore plus loin elle s’en va
Je m’impatiente je trépigne
Il est temps de changer d’approche
Du lampadaire je me rapproche
Dans ma démence résolue
D’un mouvement je me redresse
Des bras au torse je me tends
Ce lampadaire mes mains l’agrippent
Mes pieds l’enserrent
Et je grimpe je grimpe
Je défie les passants
Je dévisage les branchages
Je la cherche de mon regard perçant
Et au milieu de la foule
Informe la silhouette émerge
Contournant l’arrêt de bus
De l’autre coté de la passerelle
en mauvaise état
mais qui tient le choc des années
avec des dalles bancales
De l’autre côté d’un parking
pratiquement vide
Je ne marcherais jamais à ses côtés ?
De l’autre coté de la route
un nouveau parking
plus rempli cette fois
Retour dans des rues piétonnes
son reflet dans la vitre
d’un magasin, d’un bar, d’un café
Partout
Où est la réalité ? Je la suivais
De l’autre côté du rond point
je décide, non, le rond-point
décide
me jette à la figure
le tourner en rond, le point de rien
les bagnoles sans fin
le temps qui saigne
le vacarme de couleurs et de bruits
ayant perdu
ma seule boussole
je rampe jusqu’à l’arrêt de bus
Une passerelle, un cédez-le passage, deux rails
et puis quoi encore ?
Trop longtemps qu’elle m’impose son rythme.
Je vais ralentir pour voir
Et si je cessais carrément de la suivre ?
Peut-être qu’elle disparaitrait des projecteurs
C’est ça. Stopper cette course folle.
Je vais m’assoir sur ce banc de l’arrêt de bus
et l’observer courir toute seule
D’ailleurs il est curieux cet escalier
il est droit il est froid il est en métal
ma main glisse sur sa rambarde
parce qu’il faut que je me presse
il faut toujours que je me presse
longer ces murs
cavaler sur ces trottoirs
utiliser le passage piéton
griller un feu, puis deux
éviter la foule de l’arrêt de bus
courir et encore courir
pousser la poussette et encore pousser le poussette
et puis surtout ne jamais céder aux cédez le passage
J’ai dépassé la barrière
Pour tenter de l’accompagner
Au détour d’un virage
Voici un drôle de paysage
Poumon vert au coeur de la ville
Arbustes buissons brindilles herbes folles
Une friche plantée
Sur ces rails abandonnés