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Les Villes invisibles. Zobéïde.
jeudi 6 septembre 2018
À partir de là, après sept jours et sept nuits, l’homme arrive à Zobéïde, ville blanche, bien exposée à la lune, avec des rues qui tournent sur elles-mêmes comme les fils d’une pelote. Voici ce qu’on raconte à propos de sa fondation : des hommes de diverses nations firent un rêve semblable, ils virent une femme courir en pleine nuit dans une ville inconnue, ils la virent de dos, avec ses cheveux longs, et elle était nue. Ils rêvèrent qu’ils la suivaient. À la fin chacun la perdit. Ayant rêvé, ils partirent à la recherche de la ville, ils ne la trouvèrent pas mais ils se retrouvèrent ensemble ; ils décidèrent de construire une ville comme dans leur rêve. Dans la disposition des rues chacun reconstitua l’itinéraire de sa poursuite ; à l’endroit où il avait perdu les traces de la fugitive, il ordonna l’espace et les murs autrement que dans le rêve, de telle sorte qu’elle ne puisse plus s’échapper.
Ce qui donna la ville de Zobéïde où ils s’établirent dans l’attente qu’une nuit se répétât la scène. Aucun d’eux, ni en rêve, ni à l’état de veille, ne revit jamais la femme. Les rues de la ville étaient celles par lesquelles ils allaient au travail tous les jours, sans plus aucune relation avec la poursuite du rêve. Qui du reste était déjà et depuis longtemps oublié.
D’autres hommes arrivèrent d’autres pays, ayant fait un rêve semblable au leur, et ils reconnaissaient dans la ville de Zobéïde quelque chose des rues de leur rêve, et ils changeaient de place arcades et escaliers de manière à ce qu’ils ressemblent mieux au chemin de la dame poursuivie et que là où elle avait disparu il ne restât plus d’issue par où s’échapper.
Les premiers arrivés ne comprenaient pas ce qui attirait ces gens à Zobéïde, dans cette ville sans grâce, cette souricière.