Accueil > Cergy > Ville et signes
Ville et signes
samedi 12 janvier 2019, par
J’arrivai à Cergy-Préfecture grâce au roulement lent et froid du train de banlieue. Cergy, je ne te connaissais pas, je débarquai alors pour la première fois. Il était tôt, ce matin-là d’octobre, et les bâtiments noircis ou gris n’en rendaient que plus sombres les lumières bleu nuit du ciel en train de se réveiller. Désemparée, je regardai mon plan, tentai de déchiffrer sur cette carte, si pratique d’ordinaire, un indice au sujet de la direction que je devais prendre, cherchant à m’orienter vers ma destination, la bibliothèque. Mais ce fut comme si les éléments ce jour-là avaient eu raison de moi, et j’abandonnai l’idée de me laisser guider par un plan devenu soudainement si compliqué.
Je suivis du regard les nuages violacés qui s’étiraient, et aperçus au loin ce bâtiment élevé, aux vitres teintées et fenêtres cerclées d’aluminium. L’évidence m’apparut alors, je traversai prestement les voies qui m’en séparaient, convaincue de me retrouver aux portes du savoir. Métal, verre, béton armé, c’était pourtant bien là le témoignage de la modernité, m’avait-il semblé, dans lequel on s’évertue de notre temps à soigneusement classer les vestiges du passé, les fenêtres contemporaines de l’imaginaire et les modes d’emploi de toute sorte. À l’entrée de l’immeuble pourtant, une série de plaques de toutes les couleurs et de toutes les formes attira mon attention. Un esprit plus averti se serait peut-être méfié, aurait alors commencé à mener l’enquête, mais c’est seulement une fois à l’intérieur que je me rendis compte de mon erreur. L’édifice n’abritait pas la bibliothèque. Il était composé de bureaux individuels, occupé chacun par un petit personnage fantastique et bariolé. Elfe, lutin, farfadet, gnome, hobbit, djinn, tout ce beau monde se bousculait dans ce QG ultra-moderne, conçu pour apporter un peu de réconfort à ces êtres des forêts, des grottes et des mousses humides avant leur départ pour une journée de brouillard.
Je rebroussai chemin à toute vitesse et gravis alors les quelques marches qui me séparaient de l’esplanade bétonnée des Cerclades. Je ne doutai pas d’y trouver quelques commerces de piètre qualité, à cette heure fermés, de vieux bancs dégradés par les tags et l’usure du temps, et des halls d’immeubles peu avenants. Quelle ne fut pas ma surprise d’y découvrir un jardin luxuriant, des fleurs aux senteurs exotiques, des fontaines jaillissantes et des enfants fredonnant et se chamaillant dans les allées boisées.
Ces deux découvertes n’avaient depuis pas cessé de m’étonner : mais d’où provenaient une telle abondance, une telle magie poétique dont je n’aurais pu rêver ? Je compris alors que je devais réapprendre à regarder, à découvrir, à rencontrer, à apprivoiser cette ville qui m’avait semblé, à tort, si moche, si grise, si triste, si détrempée, si minérale et si dépourvue de vie.