13-14 avril
jeudi 16 avril 2020 - Ce qui nous empêche
J’écoute Musique de nuit et me souviens du concert de Ballaké Sissoko et Vincent Segal, pendant lequel plusieurs fois j’ai eu envie de pleurer. La musique tellement belle, sans pouvoir mettre de mot dessus et décrire ce sentiment — c’est si abstrait, la musique, tandis que ce qu’elle provoque est si sensible — et belle pas seulement musicalement, ou alors au-delà du phénomène musical. J’ai pensé "terrienne", la musique. Dans quel sens ? Ou philosophique, je ne sais pas. Imaginerait-on de la "musique philosophique" ? Ce serait intéressant. Et me fait penser aux "instruments philosophiques", ou à la "théologie expérimentale", de Pullman dans Les Royaumes du Nord. Bref, dans le sens que cet homme noir et cet homme blanc, cet instrument et celui-là, ce que leurs corps et leurs instruments dessinent sur scène, une amitié, l’image d’une fraternité humaine, un objectif que la condition humaine devrait atteindre : des humains jouant de leurs instruments, créant de la musique ensemble. Plus d’économie, plus d’empire et de territoire, mais de la création, et ce serait ce que les humains feraient sur Terre. Ce serait référencé comme ça dans la grande encyclopédie galactique (ou le guide du routard), "La Terre est peuplée par les êtres humains, société librement organisée, espèce pacifique et artiste qui a organisé sa production dans le but de créer des œuvres d’art" ; ce qui changerait de l’entrée actuelle : "La Terre est peuplée par des êtres humains, espèce invasive organisée en une sévère hiérarchie qui exploite ses membres les plus faibles et les ressources pour fabriquer des produits périssables, destinés à renforcer ce dogme production-consommation et l’exploitation induite, dont une majorité d’items guerriers."
La route descend, on croirait une vallée, et le RER, entendu à plus d’1 km parce que aucune voiture. Envie que quelque chose s’arrête, donc que l’autre chose reprenne, on voit partout que tout le monde en a marre, et bien sûr, comment supporter cela ? Mais de là à être des "Sisyphe heureux" ? Faudrait pas pousser (le rocher).
Il semble que les patients guéris du Covid-19 ne soient pas immunisés. Et l’OMS dit qu’on ne comprend pas ça. Je fais une rapide recherche sur Galaxynet pour savoir si c’est déjà arrivé dans un autre système planétaire, l’extinction de masse d’une espèce invasive par un virus. Je ne trouve aucune occurrence, nous sommes peut-être les premiers à subir cette régulation de l’écosystème pour se sauver (peut-être inventer ici une branche écologique antispéciste du complotisme où les animaux, les virus, se voient attribuer des intentions).
André Comte-Sponville, dont le nom me dit quelque chose, dit sur France Inter qu’il ne faut pas penser qu’à sa santé, mais avant tout à sa liberté, au bonheur, que la santé est un moyen et qu’il faut arrêter de stresser avec ça, ne plus penser qu’au Covid et vivre un peu, merde etc. Je ne sais pas s’il a raison, qu’il faut oublier une maladie dont la transmission exponentielle pourrait sans confinement réfléchi tuer des milliers puis des dizaines de milliers chaque jour, mais en le disant comme ça, finalement il se contredit car il dit qu’il faut ne pas s’occuper du moyen qui permet précisément d’accéder au bonheur. Il avait l’air très énervé au téléphone et faisait l’effet d’un pauvre type perdu qui ne sait plus ce qu’il dit. C’est un "philosophe médiatique" j’imagine, que les radios appellent en cas de besoin. C’est triste la pensée-minute.