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en sécurité nulle part

dimanche 29 mars 2020 - Ce qui nous empêche

déjà perdu dans les dates – pas posées en même temps, mais j’ai commencé le mardi – ou alors seulement de relater le mardi, et on était mercredi – on perd la notion, on s’accroche au temps qui passe, relit-on seulement ? Il est dix heures, il ne fait qu’un temps de saison – beau grand soleil qui chassera le virus – on est empêtré dans cette histoire (est-ce bien une histoire ?) je respire, teste ma capacité, réfléchis aux choses, perds un peu pied, me rétablis recommence – on devrait se borner à réécrire ce qu’on a déjà écrit, ce qui l’a déjà été comme cette phrase de Michel Foucault :
« chacun est arrimé à sa place. Et s’il bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition[…]. Le rapport de chacun à sa maladie et à sa mort passe par les instances du pouvoir, l’enregistrement qu’elles en font, les décisions qu’elles prennent. » (lu dans un télérama, à propos de l’épidémie de peste probablement du seizième siècle)
– je m’y perds, je me perds, les dates, les lieux, le monde (publié deux fois le même article : voilà un ordre remis) : la dépendance de ma culture avec internet est sans le voir vraiment inextricablement liée – je ne m’en sers pas, je ne peux m’en servir – les bruits de dehors, les camions, les tracteurs – les idées noires, mais le soleil : on prévoit du temps gris, on prévoit, on espère on attend – on lit surtout – on travaille un peu, c’est difficile, c’est compliqué – on ressent la culpabilité de ne pas posséder les bons outils, les bons réflexes – on est livrés à nous-mêmes, se cultiver, réfléchir et objectiver - cette position réflexive qu’on adopte au travail -

bientôt passer à l’état de déprime : avant ça, il y avait toujours cet état qui se manifestait, un peu chaque jour, un peu plus certains et d’autres moins, je manquais sans doute de cadre pour me mettre à écrire cette histoire qui fuit, j’avais écrit un moment sur les divers stades de la mémoire, de ce qui me restait de ces années cinquante où je m’aidais un peu parfois (pour me perdre tout autant) des image vues capturées – j’oubliais alors l’état de la narration, de la description, des choses à dire ou taire – on dit mais on tait et les choses s’oublient, disparaissent quelque part entre la conscience et le reste de l’esprit – on passe à autre chose (ressurgit le moment où, un après-midi du printemps 60, on allait en groupe (deux ou trois classes, il me semble) à la plage, le chemin qui descendait derrière le lycée et le sentiment que retrouver la plage avait quelque chose de rassurant – on avait commencé un cahier par la fin (couverture verte), on avait commencé à apprendre à écrire en arabe – cinquante huit ou neuf) (je me demande s’il a trouvé place dans les souvenirs : oui, mais j’ai l’image à l’âme, et ce sentiment de retrouver quelque chose de vrai mais d’enfoui, de caché et gai comme l’amour) – pour se rassurer, se dire que ça ne durera qu’un temps – la cure à la Bourboule, les bains de pieds, la position assise durant plusieurs heures l’après-midi, l’eau qu’on boit goût de soufre – l’hôtel, où était-ce ? les connaissances qu’on croise, qui étaient-ce ? TNPPI qui me pince le bras pour que je continue à refuser une invitation et moi qui me plains de cette pinçure (première fois du monde que je me sers de ce mot) (les voisins de la maison du Belvédère s’appelaient les Cohen-Solal, sans doute fut-ce eux, cet après-midi là) mais en restant muet pourtant, la regardant et elle qui ne me regarde pas et continue à parler avec ces gens – plus tard, elle me dira qu’elle voulait ainsi m’encourager à continuer à refuser – va comprendre – (et puis la descente vers la plage, peut-être était-ce la fin de l’été cinquante neuf – je sais avoir été à l’école à six ans pour la première fois – il n’y avait pas alors dans ce pays-là de distinction entre l’école primaire et le reste de l’enseignement tout se déclinait au lycée) -