Nos îles numériques

entre connexion et déconnexion

Login, mot de passe.

lundi 16 novembre 2020

Login, mot de passe. Attendre que la session s’ouvre, que la connexion entre la machine et le serveur remonte les informations nécessaires. Le temps d’un « ca va toi ? ton week-end ? ta fille ? Ton chien, chat, oiseaux ». La lumière vive ramenait le regard sur l’écran qui une fois allumé, (allumer un ordinateur/feu), indiquait en haut à gauche le nombre de messages à traiter, classés par degré d’importance (J-0, J+1, J+2…). Apporter une réponse, rapide et efficace : le service client. Le mail servait qu’à confirmer par écrit les points évoqués au téléphone. Au niveau professionnel, la première chose que la connexion ait modifié fut la réactivité, en somme le délai de la réponse.
En quelques mois, les réclamations réceptionnées par courrier avaient pratiquement disparu, toutes passaient maintenant par le mail. Un formulaire préformaté orientait le client dans sa démarche de mécontentement. Ranger sa colère dans une case, chaque cause avait un choix.
Cette réactivité était très bien perçue, le client se sentait écouté dans son attente, dans son insatisfaction. Tout allait très vite, tout devait aller très vite, comprendre le besoin, le clarifier, le traduire et l’encoder pour que les filtrages fonctionnent. La connexion permettait de moduler en direct son attente. De rajouter des sauf si, des inclusions ou
des exclusions.
Cette connexion créant un lien fort était pourtant d’une grande fragilité, il suffisait qu’un câble soit grignoté par un rat fuyant une Seine débordante, et tout le système tombait. Link, clignotait sur la console principale, link…, les alertes serveurs commençaient à pleuvoir, l’ensemble du château fait de cartes réseaux s’écroulait.
La connexion me fit entrer dans la logique des flux, l’ordonnancement des process tout en gardant un regard sur la porteuse. Peu à peu la connexion gagna la sphère privée, à coup d’astreinte, d’une carotte et là aussi ce flux accessible appétissant, a porté d’un clic. Le matin vérifier ces emails, le soir surfer, aller sur des forums, suivre le net art, déposer des travaux, seconde identité, vérifier à distance que le système automatisé fonctionne. Un peu comme tendre la main hors de la voiture, sentir le flux continu.
Les vacances, jamais à plus de 150 km, et rester dans des zones éclairées, joignable et connectable, pion facilement repositionnable.
Au bout d’une année, trouver le moyen de se déconnecter, la nuit, vacances, week-end, couper les liens, plus de pots entre collègue, kick off, team building, ouvrir la fenêtre, forêt, chaussures, mettre des limites. Et peu à peu comprendre que ces connexions vers une liberté n’est en fait qu’une illusion marketée. Connexions bornées, espaces balisés et structurés.
Et l’autre, accessible instantané, cette connexion outil à pulsion, d’un WYSIWYG devenant WYWIWYG, addictif, modem addiction asséchant un besoin de communiquer au dehors de ce système, naissait alors un besoin de silence, d’un rythme propre.
Login, mot de passe. Éteindre/redémarrer

Nicolas Vermeulin