Nos îles numériques

entre connexion et déconnexion


Flâner

dimanche 15 novembre 2020, par JS
.Ce texte fait partie de la grande page navigable "Œuvre en cours".

La distraction est un terme négatif qui désigne la perte de l’attention que l’on accorde à une tâche autrement intéressante, importante, à cause d’un signal extérieur (quelqu’un parle, on frappe à la porte, un téléphone sonne) et avoir de la difficulté à se remettre à cette tâche. Nous avons été distrait. C’est à la fois ce qui distrait et le fait d’être distrait.

La distraction est un terme positif qui désigne une activité agréable, divertissante, qui permet de se détendre, de penser à autre chose qu’à l’activité désagréable que chacun peut être contraint d’exercer, ou permet de sortir de l’ennui, d’une période vide sans action, sans pensée, sans joie. C’est une récréation, un jeu, un plaisir.

La distraction peut être synonyme d’étourderie. Quelqu’un de distrait peut éveiller la suspicion, on ne lui fera pas confiance, on ne lui confiera pas une tâche, un travail, il va oublier, que fait-elle à regarder les fourmis, que fabrique-t-il allongé dans l’herbe ?

La distraction est un terme de chimie qui signifie la dissociation des différents éléments d’un corps.

Quelqu’un de distrait, qui vient d’être détaché de son travail, de sa passion, de son instant, peut choisir de prolonger sa récréation en se distrayant de la distraction qui l’a interrompu par une activité qui lui fait soudain plaisir, une activité sans conséquence, solitaire, égoïste, qui le regroupe avec lui-même.

La distraction, c’est délicat, ça peut être tout et son contraire.

Alors soudain, je prolonge la notification qui vient de retentir en me glissant dans son onde sonore et en vibrant avec elle je l’amplifie puis je m’amplifie et ainsi l’efface. Je prends place dans l’infime courant d’air ainsi créé, car le son est une vibration de l’air, et ouvre la porte. Je descends aux bords de Marne et croise d’autres flâneurs. Parmi eux des cyclistes, des joggers, qui ne se laissent pas distraire et filent leur chemin tracé en dépassant les promeneurs. Je marche encore plus lentement qu’eux, tellement qu’on me regarde de travers, même ici sur le bord herbeux d’un lieu dédié à la paresse, tellement je suis lent. Il faut dire, je bouge à peine. Chaque pas me prend plusieurs minutes, le monde défile autour de moi sans me voir tellement je suis figé : comme l’explorateur temporel de Wells, quand les années, par sa fenêtre, passent comme un film en accéléré. Et ce n’est plus un bord de rivière, une allée, une ligne, où je me trouve : c’est un point où je suis immobile au regard de n’importe qui, invisible, un point concentré où le temps ne s’écoule plus.