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L’empreinte des jours et des pas

samedi 13 avril 2019, par Laurence Coffe

C’est n’est plus pareil, ma vie n’est plus pareille. Longtemps j’ai erré. Aujourd’hui, je déambule. Je suis déjà au bout du chemin ? Non, mais j’ai posé mes valises. J’ai parcouru le monde est ses étendues arides, ses climats, ses rigueurs, ses merveilles, ses vestiges, ses misères, ses dangers, ses mystères, ses mensonges, ses promesses… Je suis revenu ici. Presque à mon point de départ. Tous les matins je ferme ma porte derrière moi. Sans émotion, sans un adieu. Et sans bagage. Juste le poids des ans. Et ce que je sais.

Je n’ai plus rendez-vous avec l’ailleurs, avec l’autre, avec le différent. Je me promène. Le plus souvent je commence par traverser le jardin du Luxembourg. Été comme hiver, à toute heure, c’est si beau... Je ne m’en lasse pas. J’aime quand mon souffle se mêle à la brume matinale. J’aime le bruit de mes pas, ce crissement feutré qui n’est pas le choc contre la pierre ou le grincement des gravillons, non, c’est plus discret, plus doux. Entre la terre et la sable, pas tout à fait la plage… C’est la seule trace que je laisse de mon passage, mon souffle, mes pas. Ici pas de caméras de surveillance, pas de portique pour retenir mon image. Quelques petits carrés d’une multitude de gris, posés côte à côte et qui dirait peut-être quelque chose de moi.

Je ne m’arrête jamais sur un fauteuil ou une pelouse, je ne fais que passer. Je marche lentement. J’invente une vie aux gens. Cet homme, assis à l’ombre d’un orme, attend des résultats d’analyse. Il avait emporté un livre pour la salle d’attente mais il a eu besoin de prendre l’air. Il est sorti respirer la vie dans le jardin. Il lit pour ne pas penser... Et moi ? Je pense à quoi ?

Cette femme qui courre dans sa tenue fluo se demande si un jour il va enfin la remarquer. Des mois qu’elle passe devant le fleuriste de la rue Monge, sans qu’il la reconnaisse, sans qu’il lui jette un regard. Elle se consume, elle s’épuise pour lui plaire. Il y a bien longtemps que je n’ai plus fait ça...

Puis je choisi une porte de sortie, vers l’Odéon ou le Panthéon. Parfois je m’arrête pour un café à une terrasse, et je pense à Hemingway. Paris est une fête. Je l’imagine derrière la vitre, penché sur ses carnets, je caresse en passant le marbre d’une table. Mon reflet dans la vitre disparaît avec moi.

Quand le temps le permet j’allonge ma course. Après le boulevard Saint Michel je traverse la Seine en direction de Notre-Dame. Puis je bifurque vers le Marais par la rue Saint-Louis en l’île. C’est un long trajet et mon retour sera plus compliqué, il n’y a pas de bus qui me ramène directement chez moi. Rive Droite je marche sans but dans les ruelles que je confonds toutes. Je me perds, je reconnais un bâtiment puis me perds à nouveau. Sur la place des Vosges je m’arrête un instant devant la maison de Victor Hugo. L’hiver est froid sous les arcades, l’endroit n’est pas très accueillant. Je prie le génie des mots. Je sais que seul le travail compte et pourtant une superstition, un mythe persistant me pousse dans l’ombre de mes idoles.

Je souris, seul, en pensant aux annuaires de Modiano, allez comprendre où prend racine le génie ? L’été le beau temps et un regain d’optimisme inespéré me poussent parfois jusqu’à l’Opéra et ses grands boulevards. Le Paris Haussmannien me plaît aussi, mais je me sens alors touriste dans ma propre ville. Je songe au Paris Grand Siècle, aux femmes qui peu à peu sortent de l’ombre avant de conquérir une nouvelle place dans la société pendant la première guerre mondiale. Les hommes partis au front, elles vont tenir le pays à bout de bras et peut-être prendre conscience de leur capacité à occuper des fonctions qui leur étaient interdites jusqu’àlors. L’Université va leur être ouverte, elles seront médecin, avocate, chercheuses... Elles sont en route, depuis plus d’un siècle !

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