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Voyage extérieur

lundi 29 juin 2020 - Ce qui nous empêche

J’avais prévu de poursuivre doucement mon voyage intérieur jusqu’à sa conclusion logique : le moment où, la situation virale stabilisée, on fermerait la parenthèse du confinement pour reprendre la phrase laissée en suspens, mais les faits en ont décidé autrement.

Les premiers mois d’auto-isolement ont été suivis
de semaines de manifs et d’émeutes
provoquées par une violence policière incessante
nourrie de siècles de racisme systémique
au nom d’une idéologie prônant la suprématie blanche
dont enfin on parle ouvertement,

l’environnement politique hyper-polarisé et déjà toxique
se divise et s’envenime toujours davantage
sous l’influence d’un petit homme incompétent menteur narcissique
et de plus en plus instable ridicule dangereux,

le déconfinement à l’américaine i.e.
mal préparé précipité raté
n’a pas manqué de faire flamber
le nombre d’infectés d’hospitalisés d’intubés
et bientôt sans aucun doute de morts
exactement comme il avait été prédit,

et une nouvelle « guerre culturelle » a éclaté
version XXIème siècle de la guerre de sécession
spectacle grotesque de l’éternelle hypocrisie et de l’idiotie états-uniennes
où les vestiges d’une société qui s’est battue pour perpétuer l’esclavage
  sont à vénérer à protéger à défendre
où le port du masque = le communisme le diable (sans blague) la mort
où la liberté personnelle l’emporte sur la responsabilité sociale
et cetera.

Et cetera.

Temps crépusculaire, au dire d’un ami, où la réalité dépasse même la poésie.

Crépuscule des statues.

Crépuscule sans Nellie.

*

Si les événements avaient suivi le cours normal des choses (si le mot normal convient dans ce contexte), je pensais terminer ma contribution à cette rubrique en citant ce passage, légèrement retouché, qui paraît vers la fin du Voyage de de Maistre, pour signaler le regret que sans doute j’éprouverais pour mon voyage désormais fini :

Eh ! que ne me laissait-on achever mon voyage ! Était-ce donc pour me punir qu’on m’avait relégué dans mon appartement ? — dans cette contrée délicieuse, qui renferme certains des biens et des richesses du monde ? Autant vaudrait exiler une souris dans un grenier.

J’imaginais le retour à une vie qui ressemblerait plus ou moins à celle qu’on avait interrompue, avec ses libertés certes, avec ses responsabilités et ses désagréments aussi. Mais voilà qu’une nouvelle période de confinement s’ouvre devant moi, un auto-isolement bis de durée indéterminée et aux conséquences à redouter, et la nostalgie anticipée du passage ci-dessus me semble déplacée, surtout que les « faits » évoqués plus haut sont loin de s’être épuisés.

Mon voyage n’est donc pas achevé, seulement il n’est plus intérieur — par la force des choses j’ai dû sortir prématurément de mon texte pour continuer mon errance au-dehors. An’ forward tho’ I canna see, / I guess an’ fear !

— GB · L.A. · 28 juin 2020

(Musique extérieure)