Oulan-Bator

une espèce d’initiation – un peu comme toujours au cinéma : on apprend à vivre

mais ces leçons ne nous seront de rien : tout reste à faire

Je suis passé par Oulan-Bator, à un autre moment

(escale en Mongolie) puis encore à nouveau (je ne retrouve pas sinon cette mention)

– j’ai voyagé avec un cordonnier à la recherche des petits chevaux connus sous ces latitudes

– c’est trop loin

– ici on aura affaire à une petite fratrie (un aîné, une sœur, un petit frère) – (dans l’image qui suit, l’aîné prénommé Ulzii)

leur père est sans doute décédé (ce n’est pas explicité), leur mère (elle boit trop d’alcool) regrette d’être venue en ville

mais l’aîné, Ulzii donc, qui réussit en classe

veut poursuivre ces (ou ses) études – il y a de la domination dans l’air

elle s’en va – convaincue par lui, probablement, qu’il fera face aux conditions difficiles

elle part – les choses sont difficiles – l’argent manque – l’hiver est rude et le chauffage au charbon, onéreux – c’est par ces façons de se chauffer que l’air devient irrespirable – rien d’autre à faire, cependant, pour ne pas mourir de froid –

vient le moment du concours

auquel Ulzii participe – et après avoir été sélectionné, gagne – après bien des difficultés…
Les écueils dus à la maladie du petit frère, du manque d’argent pour le soigner et chauffer le logement dans une des milliers de youtres que compte cette banlieue

il s’en sortira par l’étude

– par l’amitié, la joie de vivre avec son frère et sa sœur

et quelquefois saisis par quelque découragement

Bien que pâtissant d’un scénario sans doute vaguement disons conventionnel peut-être, ajouré, un premier film qui montre une sorte de vérité – un pays différent évidemment mais où l’attraction du progrès, de la connaissance, de la science ou du savoir aussi bien, permet d’appréhender une espèce d’avenir.

Si seulement je pouvais hiberner un film de Zoljargal Purevdash (née à Oulan-Bator, 34 ans) – je pose ici une image d’elle pour affirmer quelque chose comme une espèce de politique des auteur.es, probablement pour défendre quelque chose d’un peu différent des bruits et des faits qui parcourent en ce moment cet univers ou ce milieu

Douala

à l’image Rosine Mbakam

Je ne tiens pas à tirer la couverture à moi – je suis blanc, européen (mais né en Afrique), probablement beaucoup plus pourvu financièrement que la plupart des acteurs de ce film, alors pourquoi (ne pas) en faire l’éloge critique ? Quelque chose du partage certainement. Peut-être, sur le titre, d’abord citer la réalisatrice :

« Il faut savoir qu’au Cameroun, nous avons plusieurs prénoms. Nous recevons deux prénoms traditionnels, un du côté paternel et l’autre du côté maternel. « Mambar » est le prénom traditionnel donné aux filles et qui provient de la mère. On s’appelle toutes « Mambar » et son usage reste cantonné au sein de la famille. Nous portons également un prénom français qui est utilisé dans la vie civile. Au départ, j’ai écrit l’histoire du film avec comme titre Pierrette.« 

Une citation du dossier de presse (un document fourni à la presse afin de l’informer des tenants et aboutissants ayant pour objet le film dont il est question – ça se distribue (je ne sais si c’est toujours le cas) avant la projection dite « privée » ou itou « de presse » – il y a toujours cette affaire avec les sources, mais je ne la résoudrais pas aujourd’hui – les images viennent du film-annonce et du dossier de presse – elles sont pensées ou choisies pour être re-présentées – une autre phrase de cette réalisatrice :
« Dans mon cinéma, j’ai envie de montrer qu’on est plus que le rôle qu’on nous assigne ».

Moi aussi, j’ai cette envie. Dont acte (c’est aussi pourquoi son image en tête de billet)
Tout serait-il dit ? Pratiquement, oui. C’est une femme noire qui travaille dans un bidonville de Douala, Cameroun, à couper coudre monter faire essayer reprendre au besoin des robes et des vêtements d’enfants pour l’école – il n’est pas certain que sa clientèle soit tellement argentée (pourvu de capital financier comme disait l’autre) mais elle travaille – le travail comme une dignité

humaine – homme ou femme – confondu.es – un soir pourtant, elle rentre chez elle en moto-taxi

et se fait voler

tout ce qu’elle possède, son argent son téléphone mais pas sa vie – on la lui laisse : le « on », ce sont des hommes, ils sont trois – peu importe la couleur de leur peau – peu importe d’ailleurs (on ne va pas à la police pour si peu, on accepte j’ai l’impression – l’État n’existe pas, et quand même (comme ici, il existerait, qu’y pourrait-il ?) – scène magnifique où elle demande à son enfant cadet ses économies

dans cette petite boite – pour faire face – le père est plus que défaillant – les hommes en prennent pour leur grade de dominant patriarcaux (voleurs et lâches) – mais elle, pour continuer, la rentrée des classes : acheter des cahiers, parce que la pluie, l’eau, l’inondation – mais où est le soleil d’Afrique hein – un peu comme à Venise ai-je pensé – l’eau

a tout envahi et tout gâché

on écope – on nettoie, on chasse l’eau, on recommence encore – les machines peuvent tomber en panne,

elle les porte à réparer, discute les prix

recommence encore – et encore, parfois c’en est trop

mais non, continuer – une espèce de force magnifique

peut-être solitaire ou individuelle pour le moment, mais qui prend le dessus – ce n’est pas qu’espoir ou quelque croyance, la vie elle même

tenir et encore tenir – elle remontera, ici disant à son fils qu’elle lui remboursera l’argent emprunté

continuer (là, l’essayage d’une robe qui va bien)

vivre par ce qu’on fait au milieu d’eux, une entr’aide

parfois aussi le rire d’un clown

et celui des enfants – le drame n’est jamais cependant loin – et bien d’autres sourires encore pourtant

et d’autres histoires, d’autres développements, des conditions difficiles mais assumées – une femme puissante

Mambar Pierrette, un film réalisé par Rosine Mbakam, avec dans le rôle de Mambar Pierrette, Pierrette Aboheu Njeuthat

Fremont

C’est Donya (interprétée par Anaita Walli Zada).

Elle voudrait juste dormir.

Un de ses amis (afghan) (ils sont peu – réfugiés – elle a aussi une copine de travail mais étazunienne garantie – il y a aussi des abrutis afghans ou pas, certes) cet ami donc lui donne une pilule pour dormir, lui donne aussi son rendez-vous chez le psychiatre.

Le psychiatre est un drôle de mec

(pas certain que ce soit une lapalissade) – les prescrit-il ? Mystère.
Dort-elle mieux ? On ne sait pas trop.
Mais tout à coup, au travail

où on fabrique des biscuits

dans lesquels on incorpore des messages

inscrits sur un petit papier

à la manière des devinettes ou des blaguettes qu’on trouvait dans les caram’bar tu te rappelles –

et pour ces maximes formules fortunes chances formes de recette ou d’horoscope – quelque mots, il faut bien les écrire : ici la rédactrice

les deux copines discutent blind dates (rencontres amoureuses ou quelque chose)

et puis

brusquement (j’aimerai mourir comme ça – comme Molière* – au travail) – alors

elle accepte – et à nouveau quelque chose : ceci déjà (consigne éditoriale)

et puis on apprend à la connaître – son quotidien, ses repas chez un ancien de là-bas

les conventions

les obligations,

les sous-entendus

là-bas ça n’a pas d’importance pourtant, ce qui importe c’est ici

les choses se passent aux États dits unis mais j’ai pensé ça pourrait être une Algérienne ici, une Cap-Verdienne ou une Angolaise au Portugal

j’ai pensé mais je n’ai pas de réponse – désespérément… quelque chose à tenter

un message dans un biscuit – Donya, c’est elle, un sms lui parvient

elle répond, elle se décide, et donc elle part – mais avant

elle répète

il me semble qu’elle emprunte une auto – j’ai pensé à celle (assez laide, alors que celle-ci me plaît plus) d’Eastwood dans un Gran Torino (2008) probablement à cause des immigrés qu’il y a aussi dans cette narration – des gens chassés par les guerres – celle de son amie, peut-être bien)

puis elle s’en va mais c’est une fausse piste

le film est en noir et blanc format carré – plus ou moins – ça sert à quoi tout ça ?

ça se passe en Californie –

il y aura quelque chose de la cruauté

de la servilité, de la subordination il y a quelque chose aussi de la chance – ou alors de la fatalité

ou simplement du hasard

Fremont un film (simple, splendide) de Babak Jalali

  • * : ça n’a aucun rapport (sinon cette proximité qu’on entretient avec sa propre mort – et donc sa propre vie) (cette chose, la vie – et donc l’amour – qui est de tous les films par construction) (c’est une des raisons pour lesquelles nous développons pour cet art industriel une espèce de goût prononcé) aucun rapport mais dans le Molière (Ariane Mnouchkine, 1978) la mort de JBP son transport allant de la scène à sa chambre passant par l’escalier, ce passage est magnifiquement illustré – magnifiquement… (c’est peut-être à cette aune que tous les films se valent et peuvent – ou doivent – se comparer)

Marseille (2)

il y a quelques moments de rêves dans ce film-ci – le cinéma est un rêve, parfois – ici un film politique (même s’ils ne le veulent ou le revendiquent, ils le sont tous) et un couple improbable fait d’un libraire en retraite et d’une infirmière bientôt au même statut dansent longuement ici

une ville comme un refuge, comme un personnage, comme une ébauche – elle travaille encore (c’est Rosa, c’est Ariane Ascaride – souvent, en rêve, elle nage – un rôle en or…)

et cherche à se faire élire (réunions tentatives

– sans doute est-elle une image de Michèle Rubirola, dans la vraie vie, qui se fit élire il y a quelques années à la tête de cette ville) – lui vient voir une fille qu’il a délaissée semble-t-il – il vit à l’hôtel, ici

assez bien situé, avoue – des rêves, de vraies rêves…-

– face à la mer (ils s’aiment, comme des enfants dit la chanson…)
lui, c’est Henri (Jean-Pierre Darroussin)

une histoire d’amour (vaguement improbable) : il se trouve que l’un de ses fils (interprété par Robinson Stevenin), à elle, ici à l’image derrière le bar qu’il tient de sa famille

veut épouser sa fille à lui (c’est Alice, interprétée par Lola Naymark) : on la voit ici (champ)

(puis contrechamp)

entre son promis ici à droite (Robinson alias Sarkis) et l’oncle de celui-ci (chapeau inamovible tout comme Gérard Meylan aka Tonio – qui est (donc) le frère de Rosa) lors de la présentation à la famille, autour d’un plat de pâtes aux anchois…

Et puis la ville rattrape son histoire par l’écroulement des deux immeubles de la rue d’Aubagne (ici ce qu’en montre aujourd’hui le robot

et ce qu’il en était hier (le 63 et le 65 se sont écroulés le 5 Novembre 2018 : on démolira l’immeuble du 67, attenant, dans un état déplorable

). Alice est impliquée (c’est ici

que le film commence), il y aura des manifestations (ici un acteur, Jacques Boudet, ami de longue date de la troupe de Guédiguian, comme tous et toutes pratiquement)

(une espèce de famille – dans un cinéma troublé, depuis quelques années, par des affaires peu reluisantes – mais la vraie vie, le cinéma, le jeu les acteurs le décor, le reste, tout cela compte toujours) Henri, le père d’Alice l’aidera à concrétiser cette lutte – Rosa s’interrogera

le travail, l’engagement, les enfants, l’amour

et puis oui, la fête continue

Et la fête continue un film (assez marseillais) de Robert Guédiguian

Belgrade

un jeune type et sa mère (le père ? on ne sait) (la vie est ainsi faite) – Stefan, il a quinze ans – il va au collège, elle bosse

les sentiments familiaux

et le reste du monde

les jours de ces années-là, dans la Yougoslavie qui se désagrège

les années d’enfance qui s’en vont

« on ne choisit pas ses parents » dit la chanson –

et que faire s’ils se trouvent du mauvais côté ? celui de Milosevic, en ces temps-là (l’affaire se déroule en Serbie, en 1996)

(une caricature : à gauche, la mère de Stefan, à droite Milosevic)
dans les rues, la haine – quand même elle serait légitime, où mène-t-elle ? – la haine gronde

sans solution

les amis de Stefan sont de l’autre bord (mais, de bord, n’y en a-t-il que deux ?)

face aux manipulations

Stefan tente de parler avec sa mère

une fois

deux fois

trois fois

dehors, on chantera on dansera

mais quoi

se battre ?

un combat perdu d’avance – sans doute

il marche, Stefan,

on le rejette – faut-il toujours choisir son camp ? – je me souviens de TINA (there is no alternative – il n’y a pas d’alternative), je me souviens du fameux « si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi » des fascistes de tout poil, je me souviens de Jack Nicholson et de son sourire

« pays perdu » annonce le titre…

Lost Country un film de Vladimir Perišić

Helsinki

Ça n’a rien à voir (ou alors que peu) mais il y avait cette chanson qui faisait « c’était ta préférée je crois qu’elle est de Prévert et Cosma » et Antonio Zambujo la fredonnait agréablement en instillant un Cozma souriant dans sa diction. Elle est un peu chantée en fin (elle fait comme ça : mais la vie sépare/ceux qui s’aiment/tout doucement/sans faire de bruit/) : le film dure quatre-vingts minutes, les deux héros plus le chien vont vers le fond de la perspective d’Helsinki et les feuilles mortes volent un peu (pardon pour le point sur l’image).

C’est un film épuré, formidablement simple, les dialogues sont réduits (c’est à l’intérieur qu’on rit). Lui (Holappa, interprété par Jussi Vatanen) a un ami (Huotari, Janne Hyytiänen – habitué des films de Aki Kaurismäki) avec qui il travaille au début (et va boire) – en vrai Holappa boit

beaucoup

trop

beaucoup trop

Des couleurs, partout. Il y a cette femme Ansa (jouée par Alma Pöysti)

et il y a cet homme, Holappa; tous les deux travaillent, ils n’ont que leur corps à vendre ou louer : des prolos – elle est employée de supermarché

au réassort des rayons mais elle prend un quelconque paquet de nourriture à la date limite de vente périmée et se fait mettre à la porte – elle trouve un autre travail

lui fait un travail qui fait penser au début de Le jour se lève (il nettoie avec un jet à pression de sable des jantes rouillées) mais il boit (Gabin ne boit pas, mais tue…) (Marcel Carné, 1939)

Puisqu’il boit, il subit le même sort – de plus, il se blesse – il est mis à la porte. Mais ils se rencontrent, se plaisent sans doute, le sort s’acharnera contre leur rencontre – et puis… Des chansons comme s’il en pleuvait

C’est là, dans ce bar de karaoké (l’ami chante

) c’est là qu’elle le rencontre (Ansa) est à gauche, son amie au centre (Lisa interprétée par Nuppu Koivu), l’ami du héros Huotari, en chemise jaune

Après une séance de cinéma

un film d’horreur (Les morts ne meurent pas de Jim Jarmusch (2019)) – l’art et l’essai – et des affiches de cinéma – elle lui donne son numéro de téléphone

plus un bisou

il le prend

mais le perdra

Tout semble se liguer contre leur rencontre.

Ils se retrouvent cependant – elle l’invite à dîner

chez elle

mais il boit : elle s’en sépare . Le met à la porte. Il s’en va se soûler.
Elle adopte un chien

et puis et puis… – la pluie

et la nuit de Finlande

Un mélodrame dans toute sa splendeur : une merveille.

Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis…

Les feuilles mortes, un film d’Aki Kaurismäki.

Cascajal

c’est juste l’histoire d’un vieux mec (interprété – magnifiquement – par Carlos Urena)

ça se passe du côté de Cascajal, dans la montagne

non loin de San-José (la capitale du Costa Rica)

(au centre de l’isthme qui relie les deux Amériques

ou alors celle-ci, centrale)

il y a un autre personnage que ces deux-là (Domingo

et le territoire, ce territoire-là

) c’est la brume – par ailleurs, Domingo a une fille (Sylvia, interprétée par Sylvia Rossa)

ils sont assez amis

et puis il y a la brume

Domingo a aussi deux amis

(aux sorts divers, mais il reste seul) et le monde alentour

(le réel peut-être)

qui cherche à s’approprier ces montagnes pour y construire une autoroute

c’est ce monde-là, le réel, celui des capitaux, des retours sur investissements, des performances des concurrences des marchés – l’économie les capitaux les banques l’argent – alors on offre « un bon prix » pour ce foncier-là

Domingo ne veut pas le savoir

il ne vendra rien

il attendra

marchera dans la montagne, côtoiera la brume qui lui parle

– attendra – et puis

advient ce qui advient

Domingo et la brume un film (coproduction Qatar/Costa Rica) magnifique réalisé par Ariel Escalante Meza

le dossier de presse (lien vers pdf) est ici

Kinshasa

on ne sait pas, qui est qui ? on a droit à une voix off qui indique pourtant que l’identité du personnage (est-il principal ? c’est une autre affaire) a été usurpée via le rézocial – il en dispose de deux : tel est le dispositif mis en place
Une :

deux :

à peu près semblables…

Deux personnages assez principaux aussi jouent des rôles (probablement les leurs, mais qui peut le dire ?) des entremetteurs, des messagers, des go-between (comme dirait Jo Losey) : elle, c’est Sarah Ndele

et lui, Peter Shotsha Olela

les deux accueillent le réalisateur usurpé

et vont l’aider à s’orienter dans la ville qui se trouve

Cette ville, Kinshasa, est la capitale de la république démocratique du Congo (francophone, comme tu sais) (parce que ex colonie belge – et un salut à Patrice Lumumba cependant – rien à faire ici, mais quand même) (je poserai bien sa photo taxée à wiki tiens

. C’est une affaire diffuse que cette histoire dans le film, elle ne se pense pas, on n’en parle pas – elle s’invite, c’est une osmose, c’est une histoire et c’est la nôtre) – on parle plus de cinéma, de distribution des rôles, d’escroquerie et la naïveté des acteurs (en l’occurrence, des actrices : ici quelques unes des amies du réalisateur

). Ce n’est que notre monde (virtuel ou pas) : on y prend l’identité qu’on désire et on en fait ce qu’on en veut. Ou peut. Alors pour trouver, ou retrouver, la sienne, le réalisateur (mais qui est le réalisateur ?) cherche en ville

travelling avant

suit des pistes

mais oui, les esprits rôdent – ou du moins pense-t-on que ce sont leurs actions – il y aura un chien nommé macron (à peine l’image l’accepte-t-elle)

et un autre (qu’on ne verra pas) nommé trump (ils n’ont pas droit à quelque majuscule que ce soit) – les nommer c’est les faire exister – il y aura le jour

et il y aura la nuit sur la ville

Des recherches, des élucubrations

des palabres, des retrouvailles

– un voyage où les rôles s’inversent, où ceux qui dominent sont dominés et aidés pourtant, c’est ça qui est parfaitement humain (dans ce que ça peut avoir de tendre et de beau)

« tu crois suivre une route mais ce n’est pas la bonne » lui dit-on – et le réalisateur cherche encore, ailleurs qu’en ville

bien sûr le fleuve (parfois, lentement, comme le pêcheur reprend ses filets, on pense à Joseph Conrad, loin au delà de tout ce qui se passe) et puis la ville, elle même, qui vit, qui bouge, qui va

Le vrai du faux un fort beau film documento-fictionnel d’Armel Hostiou

Saint-Omer

(il y avait longtemps avoue – mais c’est difficile de nourrir tout ce monde-là – il y avait bien un billet sur Catane mais je l’ai laissé choir – j’y reviendrai) ici ça a peu à voir avec la ville mais ça s’y déroule quand même – c’est un genre que le film de procès (les Amerloks ou Étazuniens, comme tu préfères, procéduriers comme des poux (regarde ceux du peroxydé) l’ont élevé au rang des block busters) – une jeune femme

a laissé se noyer son bébé de quinze mois

la Manche, du côté de Berck dit-on, la nuit

infanticide ça se nomme (c’est une terreur : mais ne sommes-nous pas capables de tant de choses terribles, nous autres humains ?), c’est interdit par la loi et les commandements si tu veux voir. Ici la jeune femme

interprétée par Guslagie Malanda. Une espèce d’arrogance, probablement. Dans la vraie vie, si jamais elle existe, mais oui, le réel surgit : cette femme qui, par deux fois avait avorté, demandait à être jugée pour savoir ce qui l’avait poussée à commettre ce meurtre; elle n’en savait que peu, se sentait poussée, agie, possédée par quelque sorcellerie, pensait-elle. Et par ce film, nous suivons le procès. Les propos qu’on entend sont ceux tenus lors du procès.

C’est par une espèce de hasard que la réalisatrice (Alice Diop en photo en entrée de billet) a croisé le chemin de cette femme – dans la vraie vie disons, donc, il s’agit d’un fait divers que la réalisatrice interprète peut-être : c’est une photo de la mère poussant l’enfant assise dans une poussette, captée par une caméra de surveillance et reproduite dans un journal, qui l’ont fait réagir, et elle est partie assister au procès, lequel se déroulait à Saint-Omer.

Le film raconte cette échappée. La réalisatrice est devenue romancière pour l’occasion : on la découvre sous les traits de Kayije Kagame

enceinte, elle aussi.

Des images, de cette ville, Saint-Omer qui votait front national (sans majuscule), des idées de la relation qu’entretenait cette jeune mère avec le père de l’enfant qu’elle tuera, ce père de trente ans son aîné, artiste, riche, blanc, mâle… et déjà marié – à qui elle cachera sa grossesse (pourquoi ? elle ne veut pas l’ennuyer…) à qui elle mentira tout au long de leur histoire, et surtout peut-être des quinze mois de la vie de cette petite fille, abandonnée à la mer qui monte, à Berck-Plage, ville choisie pour la consonance du toponyme – le soir, la nuit, un dix-neuf novembre…

Le film est entrecoupé de scènes de la vie familiale de la réalisatrice aujourd’hui mais surtout lorsqu’elle était enfant. Des images

(magnifiquement éclairées – la photographie due à Claire Mathon)

qui montrent une relation mère-fille difficile (la mère de la romancière : Adama Diallo Tamba) – des pleurs – peu d’explications, mais des émotions.

Quelque chose dans ce travail que la maternité inflige. Quelque chose qu’on doit aimer mais qui, dans quelques conditions, devient insupportable. C’est probablement de porter seule, sur elle, avec elle, en elle, cette réalité du monde d’aujourd’hui, et d’ici, de ce côté-ci du monde.

Elle qui affronte ce monde, fait d’hommes blancs, pour des hommes blancs- et des lois écrites et promulguées par des hommes blancs. On voit la présidente du tribunal qui tente de comprendre (Valérie Dréville)

on voit l’avocate qui défend et joue son rôle (Aurélie Petit)

on voit aussi l’avocat général qui charge forcément, on voit le père de la petite morte noyée, ce père qu’on ne juge pas, non.

Puis tombera le verdict, vingt ans, ramenés à 15 en appel.

Et la romancière qui retrouvera le père de l’enfant à naître.

Saint-Omer un (premier) film (de fiction) d’Alice Diop.
On trouvera ici, dans le dossier de presse, un entretien avec la réalisatrice.

Gioia Tauro

à Becky Moses

Voici le troisième (même le quatrième : débutée par un court-métrage , A Chjana que je n’ai pas vu) (c’est l’histoire de cette petite ville qui nous est depuis racontée) troisième long métrage donc que Jonas Carpignano consacre à cette petite ville (Gioia Tauro se situe à une trentaine de kilomètres au nord de Reggio de Calabre; un terminal de conteneurs (deuxième de Méditerranée dit-on), un site un ancien (moins six cent cinquante avant notre ère, Matauros qui a donné pour partie son nom à la ville) comptoir grec, un musée archéologique donc) – une petite ville. Des habitants (quelques vingt mille), des commerces, des boutiques – le premier de ces films, Mediterrenéa (2015) montrait les périples de deux amis, noirs, pour aboutir ici (l’un d’eux, interprété par Koudous Seihon, joue un petit rôle dans ce film-ci) – terreur et racisme mais existence quand même (on pense au maire, Mimmo Lucano*, de la petite ville de Riace (de l’autre côté de la presqu’île) condamné à treize ans de prison pour avoir accueilli des réfugiés Kurdes (entre autres) chez lui (ils furent Kurdes, ils eussent pu et furent tout aussi bien être Soudanais Syriens ou quoi que ce soit : ils (et elles) étaient des frères…) – le deuxième, A Ciambra (2017) s’intéressait à la communauté rom qui, ici s’est fixée, sédentarisée (bidonvilles et caravanes de rigueur) où un jeune type (interprété par Pio Amato, qui fait ici une apparition) tente de devenir grand (passer à l’âge adulte, un âge fait de vols, de blessures et de violences, de trahisons) – ce ne sont pas films tellement légers, mais la position et les dispositions des héros semblent réelles – la caméra reste au plus près, souvent, des personnages (fatigante parfois,certes).
Pour ce troisième film, A Chiara (2021) il s’agit de se tenir au plus près d’une jeune fille, (quinze ans), Chiara – disons qu’il se trouve qu’elle est italienne. Elle vit dans une famille dont le père exerce la profession de revendeur de drogues – elle ne le sait pas encore quand débute le film : elle court sur un tapis immobile

Chiara (Swamy Rotolo) donc (c’est après lui que, durant tout le film, elle courra : le rejoindra-t-elle jamais ?) – puis dans la longue séquence suivante, on fêtera les dix-huit ans de sa sœur Giulia (Greca Rotolo) ici entre leur père et leur mère

Grande fête, où la famille boit ripaille danse joue – la famille, ici, réunie de profil

il s’agit d’une vraie famille (vraie veut dire que, dans la vraie vie – et non au cinéma, sur l’écran disons – pas seulement – ce sont des liens qui unissent père, mère et enfants – trois filles – la petite , Giorgia – la mère Carmela est jouée par une actrice (Carmela Fumo). Ce n’est pas qu’il s’agisse d’un documentaire cependant. Non plus que d’une fiction, tu me diras, quelque chose d’hybride (j’ai pensé à cette série photographies qu’avait présenté Mathieu Pernod au musée de l’histoire de l’immigration il y a un moment, ou au Jeu de Paumes plutôt où il a suivi des années durant une famille rom) : vrai ? peut-être…
Un jeu d’images de cette ville – vraie – autant que peut l’être une image – ici

ici une du film

puis un autre jeu

Alors Chiara cherche son père qui disparaît le soir-même où on fait brûler sa voiture – il part – « tout est sous contrôle » dira la mère – cette quête d’un père absent sera le moteur de l’histoire mais plus profondément c’est son identité que Chiara tente de découvrir – violence ? puisque c’est une fille les choses sont un peu déplacées mais elle court, cette fille, elle court et interroge

veut savoir

cherche à comprendre

Parallèlement, les relations avec le monde le reste du monde se gâchent – dès le début du film, l’arrogance du droit du sol comme ils disent la tient, elle – à une jeune fille rom installée là elle ordonne violemment de partir – la rom part – quelque chose de la suprématie du dominant blanc – ignoble oui – plus loin, elle la blessera au visage, défigurée – une horreur ? oui encore

Il y a pourtant un problème – grave – je me souviens de mon prof de socio qui me disait en souriant « vous êtes un moraliste » – on doit éloigner les enfants de leurs parents afin que la violence et l’appartenance forcée (que Chiara recherche) à la mafia ne les contaminent pas, certes – enfin peut-être – enfin j’en sais rien – mais pour une fin heureuse peut-être

on fêtera dans les mêmes conditions (toutes choses égales par ailleurs : dans une autre famille – celle d’adoption) les dix-huit ans de Chiara… laissant, par là, les roms dans leur condition – blessés, dominés et parias

A Chiara un film de Jonas Carpignano

* Mimmo Lucano a écrit un livre, Grâce à eux chez Buchet-Chastel, sous titré Comment les migrants ont sauvé mon village. Titre original : Il Fuorilegge (Le Hors-le-loi). Dans ce livre, il explique qu’une des personnes qu’il a tenté de sauver s’est retrouvée morte brûlée vive dans le campement (à San Ferdinando, qui jouxte Gioia Tauro…) réservé aux parias de ce monde, déshérités, dominés, que sont les réfugiés : c’est à cette femme, Becky Moses, qu’est dédié ce billet. Pour ne pas oublier. La condamnation de Mimo Lucano a été actée par des affidés de l’ignoble Matteo Salvini (lequel est copain comme on sait et comme cochon et cul et chemise avec la fille du borgne qui nous promet de tels agissements – elle sera, j’ose le croire et ferai tout pour, renvoyée dans sa très chère résidence clodoaldienne (volée sur héritage, comme il se doit dans cette espèce d’engeance, par son ex-tortionnaire de père) dès dimanche prochain, vers vingt heures une).