Il s’agit d’une ville au milieu de l’Amazonie, au nord du Brésil, là où le rio Negro rejoint l’Amazone. Une ville, un port. Capitale, trois millions d’habitants. Sur le port travaille Justino, comme surveillant agent de sécurité armé protégé d’un gilet pare-balles. Il rentre en car
plusieurs fois, on l’en voit descendre et prendre le chemin de chez lui : voir comme il regarde sur sa droite, c’est comprendre qu’il entend, par là, venant de là, quelque chose – on ne sait pas mais on entend. Il traverse. Formidable travail du son dans ce film. Il commence par
quelque chose comme ça – la forêt, la brume, peu de ciel et beaucoup de terre, formidable aussi comme on se sent étranger – quelque chose nous dépasse. Exactement ça. Puis on découvre le héros, Justino, ordinaire, normal, standard comme toi ou moi, un type qui travaille pour gagner sa vie : ce plan-là
on aime à voir cette longueur, on se dit qu’il va ouvrir les yeux, on entend à nouveau des bruits, des cris peut-être, peut-être pas des chuchotements, aigus sans être agressifs, des présences – passent le temps et le générique
dans les ombres, le temps les bruits – le monde bruisse – l’homme vit plus loin, avec sa fille (montage parallèle, on la voit travailler dans un centre de soins)
elle lui annonce sa réussite à un concours qui le rendra docteure en médecine, mais les études se déroulent à Brasilia (c’est à mille kilomètres d’ici – elle va s’en aller) ( il le faut : Justino le lui dit, pars ma fille) loin – le travail continue (il y a une chanson de Jacques Higelin qui fait « pars/fais ce que tu dois faire /sans moi ») (j’adore) (elle fait aussi « quoi qu’il arrive je serais toujours avec toi » – tout à fait ça) (nos cultures sont différentes mais elles se rejoignent pour peu qu’on les adopte) – le travail contraint force assomme torture
le fleuve les containers les navires les bruits – les abrutis de collègues de travail – l’horreur habituelle de la subordination –
(je ne suis souvenu d’une des séquences de Villages visages (Agnès Varda, 2018)) le travail
pas seulement graphique – le fleuve comme une espèce de fond sonore
au loin, même ici il est peut-être trop présent mais il est là – un décor – et Justino subit une fièvre
inexplicable
revenir
habitudes
travail
quelque chose d’étrange
un rêve certainement (une bête dans la jungle)
je ne raconte pas tout, seulement cette ambiance
nocturne onirique
magnifique – d’autres développements, une histoire qu’il raconte à son petit fils
un repas en famille
une façon de raconter formidablement diffuse – formidablement original
et surtout aimer et survivre…
Parfait.
La Fièvre, un film de Maya Da-Rin (2019), avec des acteurs tellement justes (Regis Myrupu dans le rôle de Justino : extra – léopard d’Or je crois bien Locarno 2019)
il s’agit d’un film indiqué quelque part sur le rézosocio puis ailleurs : on m’en a dit : « mignon » et : « sympathique » mais je crois qu’il est plus que ça – je renoue un peu avec les découpages plan à plan des études à l’institut d’art et archéo – je ne dévoile pas tout (il faudrait le voir – il passe encore – ici le lien) – une narration particulière – une histoire sentimentale probablement, mais profonde, joyeuse, gaie, un peu cruelle – en vrai : du cinéma (et du bon) – on en verra le générique ailleurs (je le poste mercredi – mercredi, c’est cinéma aussi) : il y a une espèce de « rubrique » idoine dans la maison[s]témoin
ici il s’agit d’une petite ville de province – en région – en Normandie plus ou moins – anonymisée – un type (Julien Beguin, comme il se doit – puisqu’il l’a eu) (pour elle, Caroline) revient pour quelques heures dans la maison familiale (il vit à Paris, avec une Anna, enceinte – on ne la verra pas) (il a écrit un livre qui a eu du succès) – le film (c’est un court métrage, 25 minutes, musical) commence par les pas de cette jeune femme au bonnet rouge
elle va chanter en marchant « partir un jour » (doucement, une chanson interprétée dans les années 90 par les deux sont trois – boys band on disait alors – « 2be3 », tu te souviens ? ) laquelle chanson donne son titre au film – mais pas que – elle se dirige vers un arrêt de bus, ici patiente ce jeune homme au bonnet marron, qui se roule un clopo
il chante aussi, la même chanson – tandis que celles-ci aussi qui patientent tout en chantant
et attendent le bus qui arrive – fin de la chanson – entrée en image du héros Julien qui discute au téléphone avec Anna sur le prénom (Lucius, non, certainement pas mais Andéol ? non plus sans doute…) du fils à venir, voici sa mère qui vient avec son père le chercher dans le camion de la boucherie
(le père et la mère partent à la retraite : ils déménagent)
le père (François Rollin – Gérard – extra) est d’une « humeur de chien »
il cite des passages du livre de son fils où on parle de bouse, des « hommages » dit le père (inscrits dans un carnet) – cut : dans un supermarché
la mère, Martine (Lorella Cravotta, parfaite) achète des exemplaires du livre de son fils (on en voit ici six, elle les achète tous : pour les offrir à ses copines de chorale) : on aperçoit le titre, presque « Partir un Jour » on aperçoit la photo (le Julien qui ne sourit pas, mal coiffé…)
– lui Julien voit au loin une jeune femme (en réassort dans les rayons, loin : une caissière mais il la reconnait, c’est Caroline) – puis la roue tourne
tourne encore
il la cherche sans le savoir : la voilà
c’est sa pause (la pomme, l’eau, la caisse…) : tu prends un café ? il ne peut pas, non, il est avec ses parents – il est encore leur enfant – elle, elle en attend un, mais et ce soir on boit un verre ? ah non, enfin non… Tant pis, elle s’en va, mais lui laisse son zéro six (il le lui demande, si jamais…)
(on le lit bien hein ?) formidablement, elle a pris les livres, les bananes, les biscuits et les lui a fourrés dans les bras, puis s’est emparée du caddy – il s’en va, se retourne
sort du cadre – contrechamp, à contre temps elle se retourne
elle s’en va – cut : il est dans sa chambre, passe trouvé dans un carton un survêtement bleu estampillé « Cherbourg Natation », lui chante une chanson de Francis Cabrel (l’encre de tes yeux)- puis lui écrit un texto : finalement, il peut ce soir
– elle viendra le chercher, mais avant il discute avec ses parents, à table, devant la télé
on parle (il lui refait le coup du carnet…)
puis on entend au loin, vaguement, Julien s’en va – bonne soirée en amoureux les parents dit-il – elle l’emmène
travelling magnifique – ils entrent clandestinement dans une piscine comme au temps du collège « ça marche encore ce truc-là? » mais oui – ils nagent et parlent
mais qui est le père de cet enfant ? un jeune homme, Yohann
non, pas Yohann, quand même…
mais si, fallait pas partir… Comment ça, fallait pas … ?
ben non, fallait pas – ça aurait aussi bien pu être toi, le père… mais pourquoi tu l’as pas dit ?
on ne savait pas, on n’a rien dit, et elle « tu aurais pu m’écrire quand même… » mais mon livre, dit-il, trois cents pages que j’ai écrites pour toi… » mais non… elle ne l’a pas lu…
« interdiction de plonger » – les deux ex-amoureux aux pieds des palmiers du paradis – mais non, non… Ils se rhabillent, et les voilà qui chantent ensemble, « Bye bye » un rap de Ménélik aux rimes directement sorties du dictionnaire
ils s’amusent
dansent chantent « tu es le seul qui m’aille/jte le dirai sans faille »… (le rap)
« Tu es la seule qui m’aille, je te le dis sans faille Reste cool bébé sinon j’te dirai bye bye »
le téléphone sonne, il le regarde, elle le regarde : une image sous le prénom d’Anna
enceinte elle aussi – Caroline voit cette image, il allait lui en parler – lui aussi devient père – c’est trop tard – cut : le lendemain matin
il va s’en aller – sa mère boit du café dans la maison vide – son père est parti tôt avec le premier camion du déménagement – il embrasse sa mère, il s’en va – travelling sur les champs
en off : il appelle son père – ça ne répond pas –
mais il lui dit la première phrase de son nouveau livre « ce sera sur la page un du coup… jt’embrasse » – partir quand même
un peu de tristesse sans doute
et puis
quoi ? une mobylette…
celle de Caroline… « Youhou !!! » crie-t-elle – le bus est passé, Julien sourit – sur elle de dos qui sourit (on le sait qu’elle sourit) (parce que c’est tellement drôle quand même…), puis de face
un peu triste, elle entonne une chanson créée par Larusso « Tu m’oublieras » – un couplet, il en reprend un autre – puis sur elle à nouveau
qui met son casque, reprend sa mobylette (le soleil sur le guidon…) et continue de chanter, puis, en off sur un travelling sublime
vraiment (et forcément) sublime : ce petit sourire
générique de fin.
Partir un jour, un film d’Amélie Bonnin
(*) addenda du 26 avril 2022 : recherchant quelques informations, je suis tombé sur le village de Cormolain (j’avais demandé à la réalisatrice qui n’a pas jugé bon de répondre (non, mais on a des trucs à faire) (je veux dire plus importants) un éclaircissement sur le nom du village) et tu sais comme je suis, voilà que j’y vais voir un peu et je tombe sur ça
qui a un air de famille avec l’une des premières images de ce billet (et du film) – la voilà
ça s’appelle avoir de la chance – je ne sais si la maison Allix est citée dans les remerciements… (mais oui, en remerciements (avant-dernier carton) et à Benoît : ici aussi, donc) (pour mémoire -même si le film se termine par le Tu m’oublieras de Larusso (entre beaucoup d’autres) – résultats du deuxième tour de cette bourgade : l’immonde 109 bulletins (51.42%), le jésuite hypocrite 103 (48.58%) source : ministère de l’intérieur) – hum.
souvent un peu d’âme slave – une chanson de Boris Vian, moscovite ne rime pas avec soviétique mais on y dit « j’ai mis des rideaux de fer à toutes mes fenêtres » (mais je les laisse ouverts, dit-il ensuite) certes – chute du mur – réunion de cellule – on ne sait pas exactement mais le recours fréquent aux téléphones en cabine intime à penser qu’on se trouverait plutôt du côté de la fin du siècle dernier – pas trop d’appareils électroniques non plus (téléphone de poche ou personnel computer) – rien de tout cet attirail contemporain (on parvenait cependant à vivre, mais oui) (adaptation d’un roman paru en 2011, écrit par Rosa Liksom) – une fête
Irina trinque
on y boit au voyage futur
mais Irina ne partira pas
la « chérie » s’en ira seule – Laura (interprétée par Seidi Haarla) : elle est finlandaise, elle fait ses études en Russie, anthropologie – elle veut aller voir des pierres gravées qui se trouvent du côté de Mourmansk (des pétroglyphes) – le voyage était une espèce d’espoir peut-être – mais sans Irina, il perd en charme –
deux mille kilomètres, vers le nord (on entend « Voyage voyage » par Desireless (1986)) – en train
l’accompagnatrice ferroviaire (Julia Aug)
on ne sait pas trop avec qui on voyage, en train – trente six heures minimum – ici c’est un type Ljoha (Yuriy Borisov)
Ljoha (Yuriy Borrissov) qui boit
un peu un poncif (car le slave, tel le polonais, boit comme un trou)
ce n’est pas gagné… – un début cependant
ça ne plaît pas tellement, mais l’air est entendu
conforme – Laura n’apprécie que moyennement – obligée de rester (elle tente de s’en aller changer de compartiment : impossible) – « tu te crois où? « lui demande l’accompagnatrice –
elle reste – elle écrit – elle filme (une caméra vidéo (on devrait le savoir mais non) qui doit dater d’une vingtaine d’années quand même) – elle filme et écrit – son voyage est une espèce de quête (mais sans son amie Irina il perd un peu de sens) – le type Ljoha lui en demande le but, il boit, se saoule, l’interroge « tu vas vendre ta chatte ? » – léger – obscène – il s’écroule non sans demander comment on dit
en finlandais, Laura lui répond
le voyage continue – Ljoha s’est écroulé, il se réveillera plus tard : Saint-Petersbourg (ex-Leningrad – c’est moi qui souligne) – elle tente de joindre Irina au téléphone – rien – depuis une cabine dehors, sur le quai – puis plus tard on l’entend au loin, cette Irina vaguement ennuyée : de l’histoire ancienne ? peut-être déjà oui… – le wagon-restaurant, plus tard encore
on s’arrêtera sans doute en gare de Petrzavodsk – toute une nuit –
Ljoha connaît une amie, il veut aller la voir – il emprunte une voiture – il demande à Laura de venir, elle ne sait pas – puis vient – il l’emmène – Laura rencontre une femme magnifique (la mère adoptive de Ljoha, interprétée par Lidia Kostina)
elles parlent, boivent aussi – fument – parlent – un moment presque magique – c’est le lendemain, il faut partir –
ils s’en retournent, reprennent le train – un finlandais avec une guitare s’installe, accueilli par Laura mais en s’en allant lui vole sa camera – le monde regorge de salauds, ça ne fait aucun doute – mais garder le moral et rire
un voyage pour retrouver des signes anciens, mais elle n’y parvient pas, les obstacles, la glace, l’éloignement, l’absence de son amie aussi sans doute – elle retrouvera Ljoha, lui expliquera qu’elle ne peut se rendre où elle veut – voir ces fameuses pétroglyphes (peut-être celles de Kanozero, découvertes en 1997) – mais il arrivera à l’aider, ils s’en iront
elle les trouvera
ils reviendront
une histoire plutôt simple, où la rencontre disons fraternelle apporte de la joie
On avait eu droit au tragique La chambre du fils (2001), ainsi qu’au Mia Madre (2015) tous deux magnifiques – les adjectifs n’en disent jamais assez. Des histoires de famille, peut-être – mais on aime ce réalisateur. Est-ce qu’on cherche de la promotion, de l’éveil, de l’attention ? C’est un monde terrible (comme dit Jean Seberg, lorsque Preminger l’interroge (en 1955) lui posant la question de savoir si elle veut être actrice : « terriblement » dit-elle) (« oh badly ! ») (elle a dix-sept ans et onze mois) (elle est de trente huit) – terrible) ça se passe, ça se déroule à Rome (comme, tu te souviens sûrement, Journal Intime (1995)) on en voit peu, mais on ressent la ville quand même (on est installé à la gare, les trains sont en contrebas dans la surexposition de lumière; on est à l’aéroport; on est sur les quais du Tibre, sur le bord d’une route bretelle, la nuit – au loin l’Aventin, l’une des sept collines – au loin Ostia et la mer et Pasolini, puis Civitavecchia et Stendhal et Cinecitta et Federico – au loin) (enfin tout ça)
Trois étages d’un immeuble, trois (ou quatre) familles qui vivent là. Des histoires mêlées. Trois temps (cinq ans plus tard, puis cinq ans plus tard)
Eux vivent au premier (Sarah et Lucio) – duplex avec le rez-de-chaussée ( Elena Lietti et Riccardo Scarmachio)
On ne parle pas de cinéma (tant mieux), leur travail c’est plus le droit – Monica est femme au foyer, elle accouchera immédiatement de Béatrice (le bébé sur l’image) son mari (Giorgio – Adrianno Giannini) absent, toujours absent (dans la première période, puis moins) (sa mère perd la tête… et elle craint aussi pour sa propre santé mentale – elle se trouve ou se retrouve, pense-t-elle, trop seule)
Monica (Alba Rohwacher) et sa mère (Daria Deflorian) et la petite Béatrice (Monica vit au deuxième étage)
Puis le juge, sa femme et leur fils (par qui un des scandales arrive) (il y en a aussi trois)
le juge (Viitorio), sa femme (Dora) juge elle aussi, leur fils Andrea (Nanni Moretti, Marguerita Buy, Alessandro Sperduti) – ils sont au troisième
ça commence un peu comme ça
la petite Francesca devant la voiture d’Andrea qui vient de défoncer le mur de carreaux de verre du rez-de-chaussée – le bureau de son père (architecte je crois bien)
le môme Andrea ivre tue une passante (tandis que Monica s’en va accoucher seule de Béatrice) retrouvé ceci – ça se passe dans cette rue –
camions du tournage en 2019
les camions du tournage, via Montanelli à Rome – puis ceci (le garage ou finit la course du môme Andrea ivre)
le mur de carreaux de verre DL2V
trois histoires tricotées, tressées, montées plus ou moins parallèlement pour n’en faire qu’une (peut-être) celle de cet immeuble
– la plus attachante
peut-être parce qu’elle perd la tête – et comme sa mère s’enfuit – puis elle, qui subit l’ultimatum de son salaud de mari (comme disait Jean Renoir à propos de sa Règle du Jeu (1939…) « chacun a ses raisons « ou quelque chose d’approchant)
Dora de son troisième étage, dans la nuit, qui voit l’accident (hors champ) provoqué par son fils
trois femmes puissantes (Sarah qui envoie paître son mari, Dora qui recherche son fils
Monica qui cauchemarde éveillée
un choucas dans la maison de Monica
mais aussi en dormant – d’autres choses encore, des développements, des rencontres, des naissances et des deuils, des procès – beaucoup de choses mais la plus belle, la plus improbable aussi, la plus attachante et la plus vraie pourtant, cette danse
magnifique qui s’éloigne – je te la pose deux fois
tango milonga tout ce que tu veux, mais des dizaines de couples qui passent, dansent sur une musique magique, comme dans un rêve… tout le cinéma est là (on pense à la fin de Huit et demi – mais ici, les acteurs ne dansent pas…).. Alors, à la toute fin, lorsque Béatrice s’en va avec son père (et son petit frère), cette image (au ralenti…) à travers la vitre arrière de l’auto
Voilà un moment (depuis le 2 mars 2020, soit le plus ou moins début de cette wtf pandémie) que cette rubrique est abandonnée à son sort – depuis la pandémie, j’ai l’impression (anéfé) – mais il nous faut vivre, disait la poète, vaille que vivre… On reprend ici avec un film français, et on essayera de tenir cette distance ici de (ne) parler (que) des films qu’on aime
C’est une histoire de ville – elle se passe en ville – en capitale : le début montre un camionneur , Yann (Pio Marmaï) qui rejoint Paris dans le cadre de son travail mais il va participer à une manifestation (début décembre 18 : ce n’est pas dit, on subodore et on se souvient) : une grenade éclate sous ses pieds, il est blessé gravement à la jambe : direction les urgences
Plus loin en parallèle une femme (VBT) pas vraiment bourgeoise (elle porte des basketts : est-ce suffisant pour n’être pas vraiment bourgeoise ? j’en sais rien, tu me diras) rompt avec son amie (Marina Foïs) qui s’en va, l’autre lui court après, en ville, elle tombe, se brise le coude – elle se retrouve à l’hôpital, téléphones omniprésents – l’une appelle son amie, l’autre en relation avec son fils sans y arriver, le troisième Yann avec son ami(e) So… Tout se croise mais surtout, et d’abord, d’abord Kim l’infirmière (Aïssatou Diallo Sagna, impériale avec son mari qui garde leur enfant malade) tout se téléscope – donc un film sur les urgences
un film sur les manifestations qui ont eu lieu avant la pandémie – l’épisode de la Pitié Salpétrière dont on se souvient : cette honte bue par le gouvernement – un film de ville, de sirènes de cris de fumées et de peurs
mais les choses sont prises en main par le personnel soignant (même si certains sont fâchés – il y a de quoi parce que l’hôpital, depuis vingt ans (et la taxation à l’acte, dite T2A mise en place par le gouvernement Chirac, et – très bizarrement – par le premier ministre d’aujourd’hui…) va finir si on n’y prend garde par céder, comme cette sécurité sociale chèrement gagnée et payée (on se souvient des paroles d’un syndicaliste patronal (Denis Kessler, appointé à 6 millions l’an chez Scor, société de réassurances – non, mais ça va bien) disant qu’il fallait annihiler tout ce qui avait été bâti par le programme du Conseil National de la Résistance en 1945) (une histoire de la politique française des vingt dernières années, menée par la droite, et par une certaine gauche mêmement) – c’est un peu de cette histoire-là
qui se joue, qui se jouait tout autant sur les ronds-points avant l’épidémie – un peu de cette histoire-là qui est racontée (en filigrane) dans le film car le vrai message du film, c’est que l’hôpital tient (la scène où le chef de garde interdit l’accès de l’hôpital aux forces dites de l’ordre est emblématique de cette résistance-là) oui, l’hôpital résiste (et le chef de garde porte un accent magnifiquement cosmopolite…) l’hôpital tient bon soigne sauve des vies. Mi-documentaire, mi-fiction, le film met donc en scène quatre personnages principaux et tissent entre eux des liens à la manière des fascias qui unissent nos organes et nos muscles et nos os : d’abord, l’infirmière Kim (je le redis, Aïssatou Diallo Sagna splendide)
(dans la vraie vie, elle est aide-soignante : le cinéma lui offre une promotion…) calme et sûre ; puis ce couple de femmes, probablement très éprises mais très remontées l’une contre l’autre, que l’accident de l’une (Valeria Bruni Tedeschi, qui envoie grââââve, qui ne peut s’empêcher de dessiner, de la main gauche…) va rapprocher de l’autre (Marina Foïs si sérieuse, si les pieds sur terre…)
qui revoit un peu de son passé (une rencontre fortuite avec un ami de lycée) et envisage sûrement le chemin parcouru
beaucoup de choses bougent, beaucoup de certitudes sont ébranlées – mais restent (et c’est une des qualités majeures du film) la réalité de l’humanité (une vieille femme meurt doucement, on soigne un petit bébé, une femme blessée pleure, un jeune homme affolé ne tombe pas dans le meurtre…)
La fracture est ouverte, certes, mais le film tente de la réduire : la surexcitation de Yann (Pio Marmaï) vient de la rue qui enfante l’horreur – on n’a pas oublié les mains arrachés, les yeux énucléés, les blessures et même les morts (même si l’épidémie est passée par là, avec ses confinements, ses errements, ses mensonges et ses faux-semblants) : on n’oublie pas, mais ce film sert, aussi, à ça. S’il se termine plutôt dans le calme pour les deux femmes
(elles parviennent à s’échapper de l’hôpital au petit matin), il en est autrement pour le camionneur – aidé par un CRS il s’échappe aussi, pourtant… Je ne sais pas bien mais j’ai pensé que la police, son armée, sa garde, était allié objectif de cette mort qui nous veut, tous et toutes… Une vraie réussite pour un cinéma (français) qui parle (une fois n’est pas coutume…) du quotidien du pays.
La Fracture (Catherine Corsini,2021) (en entrée de billet le trio d’actrices lors de la présentation du film à Cannes, cet été) (les images (c) CHAZ et Carole Bethuel, dossier de presse)
c’est un endroit de la ville (12 millions d’habitants, plus de dix huit millions pour l’agglomération) où toujours passent le tourisme et le reste du monde et des pigeons par milliers
la porte de l’Inde et le Taj Mahal palace hôtel (qui a été le théâtre d’attentats en 2008 – après celui du Marriott d’Islamabad) (*), l’océan et la douceur de vivre. Ce rappel des attentats indiens ne tient pas de place dans le film – doux et charmant. Peut-être un contraste (la lutte des classes et des castes en Inde est féroce : ici, on n’en aura que des échos lointains, assourdis mais présents parfois à l’image et, très probablement, cette lutte est-elle ce qui ne permet pas l’entente des deux premiers rôles). Le héros est un photographe des rues (on en croise de semblables dans la cour du Louvre ici à Paris)
Chemise blanche, appareil photo en bandoulière, dans le sac une imprimante qu’on ne distingue que mal sur l’image du robot : c’est exactement son rôle.
Le photographe (Rafi) dans l’exercice de sa profession (et ses outils dont l’imprimante)
C’est l’histoire d’un homme, Rafi, endetté qui, par son travail de photographe, envoie dans sa famille restée à la campagne, de quoi payer des dettes dont on ne comprend pas exactement la teneur sinon que la mort du père les a provoquées – quelque chose qu’on ne comprend pas, mais qui se relie directement à des lois et des institutions locales, de castes et de classes.
Nawazuddin Siddiqui dans le rôle titre : Rafi
Le voilà qui rencontre Miloni
Miloni (Sanya Malhotra) trop bien – et Rafi (Nawazuddin Siddiqui) devant le Taj Mahal Palace hôtel
Se noue alors une histoire. Elle, étudiante, lui photographe – elle ne le connaît pas –
Rafi et Miloni dans le bus : première rencontre
Il a une grand-mère qui veut qu’il se marie – lui ne connaît personne, demande à Miloni – elle accepte et se prête au stratagème. C’est une espèce de jeu
auquel ils se prêtent tous les deux
. Puis la grand-mère vient à la rencontre de son petit fils (et de la promise…).
Miloni et la grand-mère ( Farrukh Jaffar)
Ce sont les personnalités des deux protagonistes qui emportent le film : lui peut-être timide, elle certainement – ils parviennent à se comprendre – le film est en montage parallèle – une ville qui tient lieu de personnage et de décor
Rafi et Miloni dans une rue attendent un taxi
des images fixes, mais du cinéma – ils vont au cinéma ensemble, ils partagent quelque chose sans y parvenir vraiment
ce n’est pas qu’ils ne se comprennent pas mais quelque chose leur échappe
le tout est réalisé avec tendresse, pourtant – on veut la marier, elle aussi, comment faire pour y échapper ? On ne sait pas – quelque chose de chaste et de doux – mais qui ne veut pas fonctionner – qui ne peut pas… Pour Miloni, les parents tiennent pour un mariage arrangé – on connaît les autres parents, on sait comment se marier entre gens de bonne famille
Je me souviens de ce film , Sir (Rohena Gera, 2018) indien tout autant – cette facilité à l’élégance, à la distinction, je ne sais pas ce qu’il y a avec l’Inde (ces temps-ci, mais pas seulement pour ce pays, il y a de quoi être vigilant et se prémunir, se grouper,exister ? que sais-je ? non, je ne sais pas) – mais ce cinéma-là, un peu de comédie, un peu de drame, quelque chose de l’humanité tout entière… il reste qu’il faut vivre
PHOTOGRAPH featuring Sanya Malhotra courtesy of Amazon Studios.
Il y a quelque joie, quelque tendresse, quelques émotions simples – et le reste du monde qui s’y oppose… Tant pis, le film reste tellement doux.
Le Photographe, un film de Ritesh Batra.
(*) Le déroulement de l’actualité influence, par osmose, le cours de ce billet – notamment par les violences qui ont lieu ces jours-ci en Inde (on a visionné le film il y a quelques semaines). Il n’est pas spécialement avérés que ces violences nationalistes (couvertes par le pouvoir et singulièrement par le premier ministre dudit pouvoir, Narendra Modi – voir sous le lien, plus haut) aient pour fondements les attentats dont on parle, mais ils y contribuent sans qu’on puisse émettre de doute sur ces contributions. On ne tient pas non plus à créer une ambiance anxiogène ici, mais s’aveugler ne permet pas non plus de comprendre. Ainsi, le système des castes illustré ici est-il aussi issu d’une pratique religieuse, l’hindouisme, laquelle induit contraintes et obligations. Les attentats d’origine musulmane reflètent aussi une revendication religieuse, contre laquelle il semble que le film tente une mise en question. Pour mémoire aussi, l‘attentat à l’hôtel Marriott d’Islamabad (Pakistan) a eu lieu le 20 septembre 2008, les attentas de Mumbay (six lieux de la ville touchés) qui en sont une réplique suivant l’un des tueurs, se sont déroulés du 26 au 29 Novembre 2008 (en Inde, donc).
Il s’agit d’une île de la mer Baltique, au sud de la Suède – Gotland, île lointaine – ce n’est qu’en été qu’y tournait Ingmar Bergman et ce film-ci (qui donne de si belles images au bandeau de cette rubrique) s’y est tourné du 6 mai au 18 juillet 1985. Au loin croisent les navires
de belles images
sur la mer une nature difficile à et des vents forts
tel est le décor. Le film relate le rêve d’un homme, un vieux professeur pensant la troisième guerre mondiale (et atomique possiblement) arrivée. Le facteur indique une voie possible (c’est le premier plan du film, qui dure près de dix minutes)
pour que cette catastrophe ne se produise pas – le vieil homme peut-être crédule l’emprunte et promet, si la guerre atomique ne se produit pas, de sacrifier tout ce qu’il possède. Un sort, probablement – mais l’homme y croit (Erland Josephson (*) dans le rôle, un habitué des films d’Ingmar Bergman – à l’image de ce film-ci, Sven Nykvist, chef opérateur de la plupart des films d’Ingmar Bergman) et, à la presque fin du film, il entasse dans sa maison tout ce qu’il possède et y flanque le feu. Il sort de chez lui par la fenêtre
une échelle
enjambant la balustrade du balcon
le feu commence à prendre, l’homme a soif
il lui faut boire, puis il s’en va
plan vide, bientôt
au son, le feu prend de l’ampleur
(ici débute le plan de six minutes quarante six secondes) Ainsi, brûlera la maison
(tous les enfants sont sortis se promener, discutant de l’état de santé mentale du père, ayant décidé ensemble qu’il valait mieux l’interner) – l’homme croit en ces sorts, perd la tête, la raison – c’est fait
La catastrophe s’est produite
l’ambulance arrive trop tard
on le force à y entrer – il finit par se laisser faire – l’ambulance s’en va
tandis que le sacrifice est réalisé
Je ne parle pas de la sorcière (elle en les pouvoirs de qui il croit, cet homme – mais elle est là –
elle s’en va
et la famille reste prostrée – je ne raconte qu’un millième peut-être du film – prostrée
devant l’étendue de cette défaite… (ici la partie du plan qui illustre (par la grâce de Joachim Séné) le bandeau de ce blog, donc – (merci encore) – puis
à la dernière image du plan, l’histoire raconte qu’il n’y avait plus de pellicule (plus de film) dans le magasin de la caméra – l’histoire dit aussi que le plan fut tourné une première fois, mais qu’il fallut tout refaire car la caméra tomba en panne cette fois-là – la maison brûla entièrement… On garde je crois au moins une image (fixe) de ce plan-là
(On la reconstruisit, et la deuxième fois, ils tournèrent à deux caméras pour éviter une nouvelle catastrophe – mais le film se termine sans l’effondrement complet de la maison brûlée : le plan dure six minutes et quarante six secondes
Reste le dernier plan du film, en dédicace au fils du réalisateur – avec espoir et confiance…
(*) Cet acteur, si proche d’Ingmar Bergman qu’il prit sa succession à la tête du théâtre dramatique royal de Stockholm, m’est aussi proche que le Fernando Rey des films de Luis Bunuel (ou le Stanley Baker de ceux de Joseph Losey). Croisé à de nombreuses reprises donc dans les films d’un de mes réalisateurs préférés, il apparaît aussi dans un film « Dimenticare Venezia » (où je ne me souviens pas voir de plan de la sérénissime – il n’y en a pas) (Franco Brusati, 1979) dont j’avais réalisé le découpage, plan par plan, pour le magazine « L’avant scène cinéma » (numéro 277 du 1° décembre 1981) – film par lequel, alors, j’avais appris reconnu, ressenti et partagé le langage des fleurs de, je crois bien, la propriétaire de la maison (Marta), qui disait « roses rouges cœur ardent ».
Le Sacrifice, un film d’Andreï Tarkovsky (prix spécial du jury, à Cannes en 1986)
Il y a quelque chose avec la Chine (vous je ne sais pas, mais moi, oui) (les conditions de production du film sont chinoises) (c’est pour ça) c’est qu’elle me paraît incommensurable, immense, inatteignable (ce doit être ce milliard et plus d’individus – curieusement (?) ça ne me fait pas cet effet pour l’Inde) (ça commence à changer, non ? je veux dire comme idée reçue présupposé etc. non ? ) et ici cet effet disons inconscient (psychologique, référentiel, induit ou oblique) apparaît dans le fait que le film fait partie (dit-on) d’une trilogie et que la première partie compte pour cent cinquante minutes quand même.
(j’illustre d’abord d’images fournies par le robot – mais, j’ose le croire, postées par des êtres humains – il m’arrive d’être naïf – apparemment pas de voiture qui passe et photographie dans cette contrée éloignée – éloignée ? mais de quoi ? pas de Shanghai en tout cas qui, avec (au bas mot) 25 millions d’habitants, est à cent kilomètres…). Beaucoup de fleurs jaunes, des immeubles au fond, immenses, disproportionnés
Le propos du film (Séjour dans les monts Fuchun, Gu Xiogang, 2019) s’appuie sur l’emprise, l’immobilier, le foncier, et ceux qui y vivent (on y apprendra par exemple que le prix du mètre-carré dans le neuf et ces faubourgs (zeugme) se négocie dans les vingt mille yuans – lequel yuan (on disait franc, peseta, lire ou escudo avant de dire euro, tu te souviens hein…) vaut zéro virgule treize euros (soit un mètre-carré à quelque chose comme deux mille six cents euros)) (fixons les idées). Une grande famille en est le personnage principal
mais la ville aussi, et tout autant sans doute le fleuve (c’est là que le réalisateur a passé son enfance et sa jeunesse, fils d’un restaurateur dit-on).
Car elle se trouve (comme souvent) sur les bords d’un fleuve (459 kilomètres de long (dixit wiki), nommé Qiantang) qui se jette en mer de Chine, à une centaine de kilomètres donc au sud-ouest de Shanghai :
il y a au fond toute une culture à tenter d’assimiler (le Fuchun du titre est aussi le nom de la rivière/fleuve qui arrose la ville – enfin cette partie-là du fleuve…) – le vocabulaire, le ton des dialogues, la géographie, donc la culture : le titre fait référence à une oeuvre dessinée du quatorzième siècle (si on ne le dit, on ne le sait…). Mais une famille normale (je veux dire : comme ici…) (moins mélodramatique cependant qu’à Rio) : elle fête les soixante dix ans de la grand-mère – début du film
dans ce restaurant qui appartient à l’un des quatre fils (ici celui qui se courbe, en beige , tout sourire – l’aîné, si j’ai bien compris, à sa gauche, sa femme)
cette dame assise (qui est veuve depuis quelques temps)
On la verra, on suivra les épisodes relatifs aux enfants de ces quatre fils (chacun dissemblable, buvant, mangeant, riant ou jouant – l’un d’entre ces fils est un joueur (plus ou moins) professionnel – avec tout ce qui va avec (la mafia et sa pègre par exemple) – un peu comme sous nos latitudes… – et puis pas mal d’histoires d’argent
les quatre frères qui jouent un peu au basket comme quand ils étaient enfants
et quelques histoires d’amour
la grand-mère qui indique à sa petite fille la marche à suivre pour supporter de vivre
Des ennuis, des choses à régler, des comptes à rendre et des dettes à honorer
des enfants à élever, nourrir, aider – la magnificence et du fleuve
(l’un des frères, pêcheur de son état , vit dans ce bateau) et de la ville
la ligne de lumière blanche qu’on discerne au fond de l’image marque le pont de l’image précédente
Et puis disparaîtra la grand-mère
on honorera sa mémoire, on honorera son dieu
des plans-séquence splendides, un cinéma de fondus-enchaînés maîtrisés
une ville dans la multitude – et une si belle et prenante histoire urbaine
On ira voir les suivants, probablement…
Séjour dans les monts Fuchun (première partie), un film de Gu Xiaogang.
(image d’entrée de billet : Fernanda Montenegro et Karim Aïnouz)
Ce sont deux sœurs – au début du film, elles jouent, s’amusent, elles n’ont pas vingt ans – elles aiment rire (ce sont les débuts des années cinquante)
Ensemble et liées
c’est une belle histoire – dans le langage un peu suranné de la distribution de cinéma, on appelle ça un mélodrame (on ôtera « drame » si on veut être un peu plus cynique ou désabusé) – c’est un film brésilien (réalisé par un homme qui vit en Allemagne – Karim Aïnouz) (le Brésil, ces temps-ci, a quelque chose de malade – mais comme toute la planète, certes – l’ordure y est au pouvoir tandis que l’Australie flambe) un film qui se passe à Rio
(le pain de Sucre à Rio est comme le Prado à Madrid ou la Cannebière à Marseille) une si belle histoire : deux sœurs que tout unit et qui ne se reverront plus…
L’une, Guida l’aînée, s’en va – amoureuse d’un marin grec nommé Iorgos… L’autre, Euridice, donc, continue avec son amour de la musique et du piano
Très probablement ce qui l’aide à tenir et à vivre sans cette relation avec Guida Tout au long du film, et la musique et Guida qui écrit des lettres à sa soeur
« tout mon amour de la part de la fille et de la sœur qui vous aime infiniment »…
et à ses parents, mais ceux-ci ne les donneront pas à Euridice, sa sœur (en amorce, de dos, le père, Euridice et la mère, muette…)
Les lettres continuent
« très heureuse avec Iorgos… »
mais en fait, non : pas heureuse du tout.
Lorsque, seule, Guida revient
enceinte
son père l’envoie paître – lui fait croire que sa sœur n’est plus à Rio – il la jette dehors, fourre quelques billets plus humiliants encore dans son corsage et la chasse de chez lui, parce qu’elle n’a pas de mari et que ce qu’elle porte en son ventre est une honte pour la famille (on aura compris).
Euridice joue du piano, mais se marie
avec Antenor (est-ce un bon parti ?)
probablement assez choisi par son père. Mais reste le piano
une merveille, le destin des deux filles, parallèle (comme le montage des deux histoires), une merveille – Euridice enceinte tandis que Guida après turpitudes de femme seule en pays patriarcale (en diable : le monde entier…) trouve une amie
Filomena (propriétaire d’une petite maison) – elle l’aide à élever son enfant – turpitudes des deux femmes seules, le monde entier… Et puis… Euridice cherchera à retrouver sa sœur, fera appel à un détective – mais non.
On aimerait tant qu’elles parviennent à se rencontrer – au fond de l’image, dans le trouble et son caraco jaune, c’est Guida qui passe tandis que Euridice au miroir ne se retourne pas (elle l’aurait vue…). On aurait tant aimé…
La merveille cependant, la vraie merveille du film (il en compte tant…), je crois, c’est la séquence où Euridice passe le concours (du conservatoire).
Elle est de dos, le piano sur la scène l’attend.
(on tremble toujours pour les actrices – un jury composé uniquement d’hommes) les actrices, les acteurs, on tremble toujours pour eux : y parviendront-ils ?
C’est là la vraie magie du cinéma
de ce cinéma-là (celui qu’on aime), sa vraie magie c’est de faire arriver les choses
qui n’existent pas dans la vraie vie (mais est-ce sûr que ce soit celle-là, la vraie ?) (oui, au fait, laquelle est-ce ?)
Euridice s’est mariée, joue du piano et danse avec sa soeur, Euridice danse
oui, danse Euridice, danse…
Elle sera reçue, il y aura d’autres péripéties, d’autres errements, d’autres égarements…
« j’avais découvert ce que voulait dire être une femme seule dans ce monde… »
Un mélodrame.
Montage cut. Ni fondu, ni noir. Cut
Le temps n’existe pas (comme pour l’inconscient) : c’est que le cinéma est né en 95 comme la psychanalyse. L’une des plus grandes actrices du Brésil (et donc du monde) (plus télévision) (admirable)
« Tu ne peux pas imaginer combien tu m’as manquée »
à qui on rend les lettres écrites par sa sœur cinquante ou soixante ans plus tôt…
De nos jours.
Une vraie merveille (et bien sûr qu’on pense à Douglas Sirk, notamment ce « Mirage de la vie » (1959) – titre original « Imitation of life »).
La vie invisible d’Euridice Gusmao, un film de Karim Aïnouz – image magnifique : Hélène Louvart Distribution : Euridice âgée : Fernanda Montenegro Euridice jeune : Carol Duarte Guida : Julia Stockler Filomena : Barbara Santos Le père : Antonio Fonseca La mère : Ana Gusmao Anténor (l’époux d’Euridice) : Grégorio Duvivier
Voilà près de quarante ans que Robert Guédiguian (66 ans – premier film à vingt huit ans) nous entretient de Marseille, de l’Estaque, et des gens de peu (ceux de Pierre Sansot, qu’il nomme lui les petites gens). Quelques incartades (comme celle avec Michel Bouquet dans le rôle de Tonton, avec le Promeneur du champ-de-Mars (2005) ou avec l’affaire Manouchian (L’Armée du crime, 2009) mais généralement, on tourne à Marseille, ou pas si loin que ça. Dans la plupart des cas, on nous parle dans ces films de nous à travers un trio d’acteurs (Ariane Ascaride – primée pour son rôle ici)
Jean-PIerre Daroussin (qui joue son mari, chauffeur de bus – Richard)
et Gérard Meylan (qui joue Daniel, le père de Mathilda)
Cette fois-ci, on entre dans le drame : c’est notre époque qui veut ça (et, en effet, elle semble dramatique, ces temps-ci, avec notamment l’idéologie développée depuis une trentaine d’années au moins par nos dirigeants). Cette façon de faire s’incarne peut-être dans le tissu même de la ville.
En 2015, le coin de la rue où logent Sylvie et Richard (interprétés par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Daroussin)
La ville change (et parfois dramatiquement : voir la rue d’Aubagne, l’année dernière (1)…).
le même coin en 2019
Sylvie fait des ménages (plutôt la nuit) pour une boite d’intérim
Richard conduit un bus. Lorsqu’elle rentre au petit matin chez elle (on a vu le contrechamp, voici le champ), elle voit ceci
quand le bâtiment va – en 2015, nous étions dans ces dispositions
C’est ainsi, la ville vit. Le décor du drame tient aussi au magasin que tiennent Aurore et Bruno (ici il y a quelques années)
désaffecté de nos jours
le bus passe – c’est adéquat.
Aurore est la vraie fille du couple Sylvie et Richard (elle est interprétée par Lola Naymark) mais Mathilda (Sylvie est sa mère, Richard son père adoptif) (c’est Anaïs Demoustier qui l’interprète) elle, est la fille de Sylvie – son père (c’est Daniel) est en prison pour meurtre (d’assez légitime défense, cependant).
Et, au début du film, Mathilda accouche de la petite Gloria.
Et c’est Gloria qui est le scandale du film : le père (assez probable) de cette petite fille (dont on voit l’accouchement, dans un hommage du réalisateur à Artavazd Pelechian), le père donc, prénommé Nicolas (Robinson Stévenin) ne parvient pas à gagner sa vie : ainsi que le héros de « Sorry we missed you » (Ken Loach, 2019), il n’a pu faire autrement que d’opter pour un statut contemporain (auto-entrepreneur : tous les risques, peu de gains). Quant à sa mère (Mathilda donc) elle ne trouve guère de travail sinon mal payé (vendeuse) : sans doute son caractère un peu trop tranché en est-il la cause – mais on ne sait pas trop. Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’elle entretient avec son beau-frère Bruno (sur l’image ci-dessus, ce regard de Mathilda est pour Bruno) une liaison… Une histoire de famille dans une ville de la si magnifique start-up nation/premier de cordée à vomir. Aurore et son mari, Bruno, y croient dur comme fer, à cet idéal. Eux travaillent et gagnent leur vie, c’est même la raison pour laquelle ils n’ont pas d’enfant.
Aurore (Lola Naymark) et Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet)
Le drame est posé, se terminera mal, noir et futile. L’entraide demandée par les parents ne verra pas la jour, et Daniel continuera ses poésies chinoises où il les a commencées.
En réalité, c’est l’histoire de Daniel qui est le support du film (toutes les histoires en sont le support, mais celle de Daniel est sans doute la plus signifiante, tout au moins pour le réalisateur).
On dira que le point de vue du réalisateur prime – sans doute – et que les images de femmes données sont parfaitement limite – et ce sera vrai. Mais pourtant, le film reste attachant – comment savoir pourquoi ?
Daniel et Richard promènent la petite gloria
Il y a les acteurs, certes (les hommes – âgés – sont nettement plus gâtés dans leurs rôles que les femmes). Mais il y a aussi (et peut-être surtout) la ville
qui tient une place et un rôle (peut-être le premier) dans toute ces histoires – dans l’histoire de la petite Gloria, surtout.
Cette ville, un port de nuit
comme de jour
On ne va pas dire qu’on sort ragaillardi du film, non, et même plutôt désespéré mais on l’était déjà avant d’entrer : le monde tel qu’il est, et ses turpitudes et ses trahisons et ses petits tas de misérables petits secrets…
On vous le conseille quand même.
Gloria Mundi, un film de Robert Guédiguian.
(« Sic transit gloria mundi » – sans majuscule à Gloria – « c’est ainsi que s’éteint (ou « que passe ») la gloire du monde »)
(1) : la revue mensuelle CQFD (Marseille) parle du drame de l’effondrement de ces deux immeubles, un an après, dans son numéro 181 – de novembre 2019.