« qu’est-ce que le cinéma ? » c’est le titre d’un livre qu’on conseillait d’avoir lu en études de cinéma, à Paris 3 Panthéon Sorbonne d’alors – comme un seul western (Il était une fois dans l’ouest (Sergio Leone, 1968)) faisait partie de ma cinémathèque d’alors, je l’ai lu d’un œil distrait – on y parlait aussi, certes, du néoréalisme italien et d’autres choses bien sûr – mais c’est aussi la question à laquelle répond (magnifiquement) le film Yi Yi (Edward Yang, 2000) . Il y répond en images et en scènes. Des premières je n’en ai que peu (trois pour tout dire, glanées sur le site du distributeur).

(Yi yi photographie)

(le père de Yi yi, puis Yi yi, sa sœur, puis sa grand-mère (maternelle) puis sa mère qui est (donc) assise à la gauche de sa propre mère)

(Yi yi et son père au macdo – parce que Yi yi n’a pas voulu manger au repas donné lors du mariage de son oncle – le frère de son père)
Des secondes, je tente de me souvenir ici.
Elles sont données en montages parallèles, explicitant les points de vue (parfois croisés) des personnages qui forment une famille : il y a le père autour duquel tourne la narration, parce qu’on peut l’identifier à son fils (c’est aussi le « Yi Yi » titre du film) – ce serait lui, il y a de cela quarante ans; il y a la mère et la mère de celle-ci; il y a leur fille; et puis il y a le frère de ce père donc. Ledit frère se marie : c’est la première scène du film – il se marie avec une femme déjà enceinte, et sans doute se marie-t-il avec elle aussi pour cette raison. Et puis j’ai retrouvé d’autres images – prises aux films-annonce de l’époque je suppose.
Hier soir sur la terrasse des amis de la mare, on parlait de ce film et ils disaient l’avoir vu lors de sa sortie et ne pas trop s’en souvenir – vingt-cinq ans à cinquante films par an, plus de mille films plus tard… Voici la photo de mariage – Yi yi est au premier plan – les filles qui l’entourent le pincent l’ennuient s’en amusent

plus près

un peu souffre-douleur, disons – on ressent un peu des souvenirs personnels peut-être du garçon d’alors -puis ici

une image du mariage qui réfère presque directement à celle de l’enterrement

– où on parlera affaire bien plus tard – vers la fin, pour clore ce moment particulier et cherchant à définir ce moment ou peut-être établir la vérité de la narration (et répondre, ainsi, à la question du début)

(on sait que cette vérité n’existe pas, seulement peut-être pour les spectareur.es – mais elle existe donc) il y a ces histoires d’amour – toujours – : celles de Yi yi, magnifiquement formidablement cinégénique (cette jeune fille, naïade

dont on découvre le haut des jambes à la faveur d’une porte insinuante ouverte donnant sur la salle de cinéma (merveille absolue, orage tempétueux

sentiments des choses qui font battre le cœur – merveille des merveilles, Yi yi lui même se prenant le pan de la veste dans cette porte ou sa serrure comme par une sorte de hasard ou de signe prémonitoire) ; il y a celle de sa sœur,

où elle échappe à la folie de son amoureux

– il n’est pas certain qu’elle l’aime particulièrement mais il s’agirait plutôt d’une tentative d’exploration ; celle de la mère de Yi yi est plus tournée vers une espèce de méditation obscure et personnelle (plus rien ne sert à rien, et la mort de sa mère arrangera peut-être ces sentiments)

; et puis celle du père, un amour de jeunesse

croisé par hasard « je n’ai jamais aimé que toi » lui dit-il avant de la perdre tout à fait

; celle enfin du frère de son père – son oncle, en caleçon, qui, foutu à la porte par son épouse, rejoint sa maîtresse et, allongé sur le lit, tandis qu’à ses côtés elle s’endort, lui qui tout en regardant un film probablement pornographique (on ne voit rien, on entend seulement) mange assez goulûment… et aussi celle de la mère de la voisine, qui prend pour amant le professeur de violoncelle de sa fille lequel dira « ce n’est pas ce que tu crois » lorsqu’il sera surpris (hors-champ) au lit avec la mère de son élève – les images de cette mère, sous des lunettes de soleil, qui ne veux pas répondre aux questions des hordes de journalistes – des histoires d’amour mais pas seulement – et peut-être surtout ces histoires d’amours familiales, de l’épouse et l’époux, de la petite fille et sa grand-mère

, du père et de ses enfants – quelque chose de pur et de vrai – et aussi parce que son père lui offre un appareil-photo, Yi yi photographiera les moustiques (c’est pas gagné…)

et les nuques des gens « parce qu’ils ne les voient pas » dira-t-il

– des images et de la musique : il faudrait le revoir et le réentendre – ça ne fait rien, Taïwan ou Taipei, les intérieurs un peu bourgeois, encombrés ou mis à sac, abandonnés, les parcours en voiture, les reflets

– les images surtout les images – ces choses qu’on comprend sans qu’il soit besoin de les expliquer – ces choses qui font battre le cœur… Oui, voilà ce que c’est que le cinéma
Yi Yi un film réalisé par Edward Yang (2000, prix de la mise en scène Cannes 2000)