Orly

Commençons par ceci

de dos, photo prise (dit-on) par Constantin Costa-Gavras, Chris Marker qui filme la place Rouge. « Ce que je remarque (dit la réalisatrice, en voix off) (mais moi aussi) c’est que Chris a les oreilles décollées ». Oui. Comme son cousin Jenry. Oui.
Moi aussi. Comme mon père…

(l'affaire est ambitieuse - ce sont des choses qui vous font battre le cœur - je dispose après vision et re-vision(s) du film (de télévision sans doute) de plus de soixante-dix vidéo-grammes - comme on dit photogrammes pour le cinéma : ça fait beaucoup - il y a du tri à faire - de la présentation - et aussi quelque chose qui me rappelle les billets posés dans la maison[s]témoin au sujet de l'hôtel de Suède (et sa chambre 12) ici le premier et là le deuxième) (j'explore en quelque manière les débuts des miennes sympathies pour le cinéma dont j'espère qu'elles seront partagées) 

L’histoire est partie de ce générique

qu’on ne lit que très mal (je ne le réécris pas : ça sert à quoi, de divulguer les patronymes ? quelque chose du judiciaire ? ) – c’est celui d’un film intitulé Le 5° plan de la Jetée réalisé par Dominique Cabrera (2024) (on peut toujours l’y voir) (évidemment le lien n’est pas destiné à durer mais on s’en fout). Je l’ai vu dans le poste (il faudrait s’intéresser à ses conditions sociales de production, au moins les déterminer et les identifier – arte est dans le coup, certes). Il s’appuie sur cette image

trois gens de dos (en vrai, il y a aussi gauche cadre la dame en fichu (je verrais bien Gena Rowlands) mais elle passe) – le petit garçon aux oreilles décollées se reconnait soixante ans après (à l’image ici : Jean-Henri (aka Jenri) et sa fille Mathilde

) il était sûr qu’il s’agissait de lui : Chris Marker, faisant des photographies sur la jetée (c’est cette espèce de terrasse ouverte au public – fermée de nos jours) d’Orly (l’aéroport, ce jour-là, d’octobre 1962 ou septembre… ) et eux regardant les arrivées des avions en provenance d’Algérie ou d’ailleurs (la guerre avait cessé en mars de la même année, et la paix garantie par les accords d’Evian – 18 mars 1962). Les enfants étaient revenus (ils les avaient laissés un moment (probablement entre Pâques et septembre 1962) aux soins des grands-parents en Algérie (à Oran crois-je comprendre) – les enfants étaient trois : il y avait Jean-Henri, il y avait Polito et il y avait Julia), les parents et eux se promenaient ce dimanche-là (et assez souvent les dimanches de cette fin d’été 1962) à Orly et Marker passait par là. Sans doute ou probablement, tout est là. Des pieds noirs comme on disait.
Pour bien commencer à se rendre compte de ce dont il s’agit : sur l’image de ce cinquième plan, figure(raie)nt donc la mère (Angèle de son prénom) , le père (Julien) et Jean-Henri (l’un de leurs trois enfants) – hors champ, sans aucun doute, les parents Cabrera (et leurs deux enfants) : les cousins sont donc, Dominique et Thierry, dont la mère se prénomme Monique (leur père est décédé, il se prénommait Tony (on le verra à l’image : ici avec sa femme (Monique donc), dans ces années-là-sur le pont des Arts

), il avait deux frères, José et Raymond qu’on ne verra pas) – ici les voici qui arrivent au studio (intitulé L’Etna)

Dominique, à droite, la réalisatrice du film va montrer les images à sa mère Monique, au centre -son fils (et le frère de Dominique) Thierry, gauche cadre, est là aussi – il donnera son avis.

De cette image part donc le film qui recherche qui cherche qui tente de trouver et de prouver ou de retrouver la réalité des choses, soixante ans après – émaillé de photogrammes du film en question ( La Jetée (Chris Marker, 1962) donc) mais aussi d’autres comme Le Joli mai (du même en 1963,tourné en 1962 – dont le générique a été chroniqué ici) , puis Sans soleil (1983) puis aussi Level Five (1997).
On redécouvre le réalisateur on le voit parfois à l’image (lui qui détestait qu’on le prenne en photo, qu’on le filme, qu’on l’interroge) – ici qui tient la caméra, c’est lui, c’est l’Ombre

(le défilé est celui du 13 février 1962, celui des huit morts de Charonne (dont Fanny Dewerpe) – huit morts par la grâce du préfet Papon, et de ses sbires lâchés en ville…) : ce jour-là, dit-on, on entendit des oiseaux chanter sur la place de la République où passaient le cortège – on voit parfois simplement son ombre

(et l’une des intervenantes, dont je n’ai pas réussi à déterminer l’identité indique qu’il se faisait appeler L’ombre… ) elle est ici à l’image

(il s’agit de Natacha Michel, écrivaine, critique, philosophe – merci à DC. pour l’identification)
Ainsi ce film-ci convoque-t-il des acteurs (au sens sociologique – au sens cinématographique aussi) de ces films – des femmes surtout – qui connurent le réalisateur, jouèrent avec (et pour) lui. C’est parce que l’identification au générique de qui est qui m’a interrogé disons que j’ai pris des images. Des images du film de Dominique Cabrera, laquelle fait consulter des images : des photos, des photos des films, des films de Chris Maker mais aussi de sa propre famille pour en faire elle-même un film que j’ai regardé et dont je retranscris ici la mémoire.
C’est un peu lyrique et c’est presque sacré – c’est peut-être une galerie de portraits, c’est peut-être juste pour le souvenir – juste me souvenir

Puis, ici voici Julia : elle semble reconnaître les trois personnes/personnages/acteurs, c’est bien son frère son père et sa mère, oui

puis voici Polito

pour lui non plus il n’y a pas de doute – et puis La Jetée entre dans le jeu – comment savoir quand la photo a été prise ? Il est a été dit, sans doute par Chris Marker lui-même, que les images et le tournage avaient été effectués durant l’année 1962, mais plus vers le début. On interroge d’abord Pierre Lhomme (très souvent chef-opérateur mais ici co-réalisateur du film Le Joli Mai (« premier printemps en temps de paix » indique la voix off (Yves Montand)) (on le voit ici qui ouvre les bras

) il indique au téléphone que les images ont dû être prises à un autre moment, peut-être vers septembre octobre (« à l’automne 62 » dit-il) – c’est une première piste – on interroge alors l’assistant de Chris Marker, Pierre Grunstein

qui indique que oui, c’est tout à fait possible que Marker ait fait ces photos-là de la Jetée à ce moment-là d’automne 62 – et oui on lui demande s’il reconnait sur cette image du Joli Mai

peut-être est-ce Hélène Chatelain, la femme de la Jetée – sans doute sûrement… Elle et Davos Hanish, l’homme qui voyage dans le temps… Le Paris du Joli Mai c’est le Paris de l’arrivée des Cabrera comme des Bertrand , le temps de l’exil…
Puis on interrogera la fille de Pierre Joffroy (l’acteur qui porte des lunettes – le tueur :

) elle a conservé ses carnets et agendas (en fait, Pierre Joffroy est un pseudonyme, il se nommait Maurice Weil, sa fille est donc sans doute Ariane Weil : c’est elle

)- pochettes grises, classées – on découvre qu’il a effectué son rôle donc de fin septembre (le 29) à début octobre (le 3) 1962 – « il comprit qu’on ne s’évadait pas du temps » dit la voix off de La Jetée – on y lit aussi que Davos était un peintre en réalité – on convient que les coïncidences s’accumulent un peu – et puis et puis… Monique regarde, ne voit rien, ne reconnait personne

et ici toute la famille Cabrera (Dominique est hors-champ, juste là)

Puis on interrogera la femme de Davos

qui repense à ce garçon, elle ne vint pas au tournage – Jacquie… Jacquie Bablet donc –

et on apprend que Davos était juif – pour elle, ce n’est pas possible que Davos ressemble à son cousin aujourd’hui – non et pourtant on découvre que Davos est né dans le même village (Sig, Saint-Denis du Sig alors) que la famille de Monique (épouse) Cabrera – ce n’est pas possible… Voici Davos alors

il a quarante ans – David Bou Hanish, c’est son nom – né à Saint-Denis du Sig, en Algérie – comme la famille Cabrera… Puis viendra la révélation (vaguement, troublante, impossible) : Monique se souvient des Bouanish – un hasard extraordinaire, « ah ben dis donc » dit Monique… « On en connaissait des Bouanish, Angèle elle en parlait oui, on disait les Bouanish comme on disait les Cabrera… »

« et Angèle elle était amoureuse d’un des Bouanish… » et tout le monde le lui a interdit, David n’était pas un bon parti (parce qu’il était juif…) « un traîne-savate » disait leur père – « un bon à rien : la preuve, il est devenu acteur… « dit Monique. Tout cela donne le tournis, dit-on – comme un vertige
« Comme Vertigo (le film d’Hitchcock), comme si Hélène et Davos étaient comme les double de Scottie et Madeleine… Vertigo… Où le vertige de l’espace est en réalité le vertige du temps… »

Puis voici Denis Gheerbrant qui détaille le plan animé (le seul) dans La Jetée

la fin, le plan du regard – « l’instant qui lui avait été donné devoir, c’était celui de sa propre mort… » On interrogera ensuite cette dame, là

(elle dit de Chris Marker qu’ « il aimait passionnément l’aube… ») (moi aussi) Florence Delay – qui avait joué Jeanne d’Arc pour Bob Bresson – elle qui fit la voix off de Sans Soleil… car Bresson lui avait appris à dire, à dire sans nuire à l’image… « Le bonheur pour Marker ? Un visage de femme endormie » dit-elle.

Circulations souterraines, généalogie des images… Ici Maroussia Vossen (« Chris m’a montré ce film quand j’avais 7 ans… »

non, il ne m’a jamais rien demandé… jamais Chris maman et moi ensemble – jamais… »

« vraiment la personne qui avait une figure de père… ») et elle s’en va
Autre chose encore, voici Étienne- Étienne Sandrin, acteur réalisateur (éleveur de Champagne dit l’Internet)

dans la compagnie des fantômes…
On arrivera encore à reconnaître Catherine Belkhodja

dont la famille rentrait en Algérie quand celle des Cabrera s’en allait…

(si Marker fit La Jetée avec Hélène Chatelain, il fit Level Five (1997) avec elle – actrice, réalisatrice reporter téléaste – la voici plus jeune

puis on entendra Hélène Chatelain nous dire « c’est un très joli mot, la métaphore… » – la voici, plus tard

et puis, pour finirune dernière image

l’exil – Orly – on se souvient, on pense à Hélène, à Davos, à Chris… De profil, oui, c’est bien elle, c’est Angèle…

Fort beau film.
Pour finir peut-être, Orly, cette petite ville de banlieue où s’installait à la fin du dix-neuvième siècle de cette ère

une aérogare : ce toponyme a été réduit

et Chris Marker est (dirait-on) un nom d’emprunt – ici la (une) liste de ses hétéronymes

alias Christian Hyppolyte François Georges Bouche-Villeneuve…

Le Cinquième plan de « la Jetée » un film de Dominique Cabrera.

Paris : rue Daguerre

Nurith Aviv a participé au tournage du film Daguerréotypes (1975), projeté dans le cadre de la cinémathèque du documentaire (centre Pompidou, Trésors du doc) le 17 octobre dernier. C’est à ce titre qu’elle a été interrogée, après cette projection, en tant que directrice de la photographie. Elle a aussi participé, comme directrice photo, à quatre autres films d’Agnès Varda : L’une chante l’autre pas (1976) ; Documenteur (1982) ; Sept pièces cuisine salle de bain à saisir (CM- 1984) ; Jane B. par Agnès V. (1987).
L’image ci-dessus représente deux des habitants de la rue Daguerre, Marcelle et Léonce, qui tenaient alors la parfumerie « Au Chardon Bleu ». On peut retrouver une exploration de la rue Daguerre (en son ouest) sur Pendant le week-end.

Les questions en italiques et claires sont de la personne qui interrogeait Nurith Aviv ; les questions du public sont en gras dans la suite.

Comment avez-vous connu Agnès Varda ?
Eh bien, très simplement, comme c’était à l’époque. C’était en 75. Donc au téléphone elle m’a appelée : « Bonjour, c’est Agnès Varda. J’ai vu l’image d’un film que vous avez fait, je l’ai vu à Cannes et je voulais vous féliciter ». Je me dis, c’est bien, Agnès Varda veut me féliciter pour Erica Minor, le film de Bertrand van Effentere qui est passé à Cannes, très bien, et puis elle me dit : « Vous voulez bien travailler avec moi ? ».  J’ai dit « Bon, OK » – « Vous pouvez passer demain ? » – « Oui, je peux passer demain… » J’arrive et elle me dit, « Bon il y a, après-demain, il y a ce type-là [Mystag, le magicien] qui passe au café, est-ce qu’on peut commencer à tourner demain ? » Le lendemain on a commencé à tourner et ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’elle a vu les images que j’ai faites dans un long métrage et elle a décidé que c’est moi qui devait tourner et elle n’a pas du tout… C’est-à-dire que pendant une semaine, elle me cherchait par des voies complètement, complètement détournées. Elle a regardé la liste de tous les techniciens qui ont fait le film, elle a appelé tout le monde et finalement elle est tombée sur la femme d’un ingénieur du son qui lui a donné mon adresse. Mais elle était cool… Moi je n’aurais pas été jusqu’au dernier moment, moi je n’aurais pas eu… mais voilà, elle, elle m’a dit qu’elle avait vu cette image-là et qu’elle était avec Jacques Demy et que tous les deux étaient très… Enfin, du cadre, de la lumière, ça leur a beaucoup plu. Je trouve ça génial de la part de quelqu’un comme ça, elle ne savait pas qui j’étais au juste, elle a aussi prétendu qu’elle ne savait pas si j’étais homme ou femme…

Quelle était l’équipe lors du tournage, vous étiez combien ?
Eh bien, j’avais un assistant qui était à l’époque Denis Gheerbrandt, mais je crois que ça ne se passait pas très bien entre lui et Agnès. Je crois qu’en cours de route quelque chose… mais je ne sais pas, en fait bon voilà, après je ne me rappelle pas qu’il y avait un électricien, mais il devait y avoir quand même un ingénieur du son, donc ça fait qu’on était quand même au moins quatre, oui…

Et comment se faisait la connexion entre Agnès Varda et vous, sur le tournage elle était derrière le cadre vous aviez un système de communication… parce que la mise en scène est très précise…
Ça dépend… C’est-à-dire que le premier jour, je m’en rappelle comme un cauchemar… Parce que pour tout, c’était : « mets-toi là »… « mets-toi là… » et « mets-toi là… mets-toi là » et c’était des plans très courts, hein… Bon, le deuxième jour on s’est trouvé chez le boucher et là, ce qui s’est passé c’est que le couple, le vieux couple là qui finit ce film [le couple du magasin Le Chardon Bleu], oui voilà, ils sont arrivés et ils ont… Moi j’ai filmé comme je pouvais donc et elle, elle ne pouvait rien dire puisque c’est un plan séquence. Donc à partir de là, elle ne pouvait rien dire, mais moi non plus, c’est-à-dire que tout d’un coup, ça se faisait et il fallait suivre, donc c’est là qu’il y a eu quelque chose qui s’est passé et à partir de ce moment-là… Je parle de tout ce qui est le… suivre les gens, on était là à suivre et elle devait faire confiance et en me faisant confiance à moi, moi aussi je pouvais me faire confiance. Vous voyez il faut laisser faire, c’est-à-dire que ce n’est pas moi, moi je ne fais rien moi je pense que c’est les gens qui font la caméra moi je dois juste… Je suis juste présente. Vraiment je dis ça très sérieusement, mais il y a aussi toute la partie qui est de la mise en scène, vraiment de la mise en scène, pas photographique mais presque… Alors là ça s’est vraiment passé super bien, c’était vraiment… et justement il ne fallait pas la parole du tout…

Intuitivement
Oui, il n’y avait plus beaucoup de paroles, moi j’ai trouvé ça vraiment… Pour tout ce qui est mis en scène parce que c’était toujours des références à la photographie, on était toutes les deux photographes donc oui, ça s’est vraiment passé dans quelque chose qui était vraiment harmonieux, alors on ne peut pas tellement comprendre comment ça s’est passé le premier jour, parce que vraiment tout au long après, tout au long c’était génial, vraiment génial.

Est-ce qu’il y a des questions, des remarques des observations dans la salle… ?
(dans la salle on apporte le micro – en attendant) Moi j’ai une question… oui, il n’y avait pas d’électricien, mais comment était l’électricité sur le tournage ?
Mais parce qu’on a tout tiré depuis chez Agnès, pour éclairer et il en fallait parce qu’à l’époque il fallait éclairer quand même, il n’y avait pas de lumière du tout, là il fallait quand même une certaine quantité de lumière donc, on a tiré un fil de chez Agnès et on tournait en 16, et on a tiré le fil de 80 mètres. On ne pouvait pas aller plus loin que 80 mètres.

Ce qui a limité le champ d’action
Oui, voilà c’est ça donc on allait dans tous les sens, au maximum 80 mètres et Agnès prétendait que c’était son cordon ombilical (rires) et Mathieu avait à l’époque un an et demi et donc il fallait qu’elle fasse quelque chose qui soit proche si vous voulez voilà… qui la reliait à la maison.

Oui, alors la question de la salle : « Bonsoir, j’ai une question un peu bête, je voulais savoir combien de temps a duré le tournage, et est-ce que les scènes étaient répétées ou alors est-ce que c’était spontané ? »
Ça dépend desquelles… répétées je ne crois pas, bien sûr il y a des scènes qui sont mises en scène, exprès, quand ils parlent des rêves, quand on voit que c’est une caméra. Et la fin, oui, tout ça est mis en scène mais le reste non, ce n’est pas répété, c’est de l’observation… Et pour le tournage je crois que c’était que quatre semaines… Mais après il y a aussi… Je crois que Agnès a eu des idées une fois qu’elle était au montage des petits bouts qu’elle a ajoutés après, comme le sourire de la Joconde, elle a trouvé que la fille ressemblait, et c’est vrai hein… Aussi des petits trucs avec le magicien, des petits trucs comme ça qu’on a faits, ça c’est la méthode Agnès hein, mais c’est des petits moments, elle monte un peu et des petits trucs qu’on a peut-être faits plus tard…

Ce qui est intéressant, c’est que vous avez dit tout à l’heure que c’était la représentation du magicien qui a déclenché le tournage…
Oui, oui, voilà parce que c’était un samedi et elle a du se dire que oui on va tourner et certainement qu’elle a eu l’idée de dire à tous les voisins d’y aller parce que comme ça, il y aurait tout le monde vous comprenez, c’est-à-dire que c’était la trame narrative pour elle, c’était à partir de là.

(de la salle) Oui, tu disais que c’était qu’elle avait dit « c’était mon cordon ombilical » et je voulais savoir à quel moment de sa vie elle avait décidé de tourner ça ?
Là c’est quand Mathieu son fils a un an et demi et qu’elle n’a fait pas de film depuis un moment.

Et avec son mari, ça va ?
Avec son mari ? Oui… là ça allait mais… là où ça n’allait pas c’est un film que j’aime beaucoup, c’est un film qui s’appelle Documenteur qui raconte le moment où ça ne va pas avec son mari. Après ils se sont retrouvés, mais le moment où ça n’allait pas, ça a donné un de ses meilleurs films en tout cas que moi j’aime beaucoup qui s’appelle Documenteur, et en anglais Emotion picture.

Est-ce que c’est un film qui a pu nourrir les vôtres, même si on voit qu’il y a surtout des différences il y a des choses qui ont pu résonner dans votre travail ?
Comme chef opérateur ou comme réalisatrice ? Parce que c’est quand même différent.

Réalisatrice ?
Comme réalisatrice… J’ai pris le contre-courant de ce que je fais comme chef opératrice, parce que justement, les films que je fais, à partir du film Circoncision et tous les films sur le langage après je me suis privée de justement de tout ce qu’il y a là, la vie des gens, je voulais vraiment me… je voulais vraiment me heurter à comment filmer la parole sans vraiment y aller en direct, frontalement et c’est ce que je continue encore, mon dernier film est pareil, mais ce n’est pas pareil non plus parce qu’il y a tout un travail qui se fait pendant un an ou deux avec tous ceux qui seront dans le film, donc ce n’est pas pareil mais justement c’est le contraire… On croit que ce sont des documentaires mais pour moi, ça ressemble plus au travail que font les acteurs au théâtre… Donc ça n’a pas non… mais je ne peux pas dire mais ce qui continue quand même, tout ce qu’on voit c’est que dans tous mes films on voit ce qui a rapport à la photographie, c’est-à-dire qu’on voit les gens qui sont debout, le cadre dans le cadre aussi.

Oui, c’est peut-être votre touche de chef-opératrice sur le film, ça, le cadre dans le cadre...
Oui peut-être, mais c’est-à-dire que c’est toujours un va et vient entre si le travail se passe bien, c’est qu’on ne peut plus savoir qui a fait quoi, parce que ça suffit aussi c’est comme jouer du jazz, on ne sait pas qui fait quoi exactement, qui lance on ne peut pas dire c’est une note, une note, une note et on ne peut pas dire, alors évidemment chaque film va nourrir celui qui va venir après, mais on ne peut pas tellement dire, ce n’est plus un plus un…

(de la salle) Vous avez coupé ensemble ?
Monter on dit, monter…

Oui, vous avez monté le film ensemble ?
Chez les Allemands on coupe, chez les Français on monte hein (rires) Non, mais ce n’est pas moi, non, c’est Agnès, mais Agnès met beaucoup beaucoup de temps pour monter, je dis « met » mais elle est quand même là, elle est là, donc oui, elle mettait beaucoup de temps pour monter ses films parce que c’était toujours tout un travail d’associations d’idées, après elle avait d’autres idées, et elle contrairement à moi, parce que pour moi le film ne se passe pas au montage, pas du tout dans mes propres films, mais elle, elle travaille beaucoup, et même elle va tourner encore après parce qu’elle a trouvé une association d’idée et qu’elle veut montrer… Mais je ne sais pas combien mais des mois et des mois…

(de la salle) Merci pour le film… Je voulais savoir si le film s’inspire de la photographie ou plutôt de l’histoire du cinéma parce qu’on voit toutes ces références à la psychologie photographie, allemande ou même je pense à l’expo… On ne donne pas leurs noms mais on sait où les trouver, c’est comme un album de famille, je voulais savoir ça.
C’est toi qui fais tout le travail là, hein… Mais je ne crois pas qu’Agnès ait des références intellectuelles, non, elle a des références à la peinture, à la photo aussi mais beaucoup à la peinture et le travail avec Agnès se fait beaucoup après, parce que j’ai fait quand même cinq films avec elle et on allait beaucoup, beaucoup ensemble voir des expositions, et pas forcément pendant le film mais dès qu’on était quelque part dès qu’on arrivait dans une ville on allait en voir beaucoup, et elle a fait aussi l’école du Louvre et pour elle c’était vraiment… et pour moi aussi d’ailleurs jusque maintenant avant que je commence un film je vais toujours au Louvre, mais c’était pour voir comment le peintre, le portrait, comment la lumière; etc. etc. La référence est beaucoup la peinture.

Est-ce qu’on peut dire que c’est une sorte de peinture vernaculaire parce que ça ressemble à ce qu’il y a juste à côté comme exposition…
C’est encore toi mais c’est formidable de faire ces associations-là, c’est bien oui justement…

Est-ce qu’on peut parler des portraits photographiques ?
Elle a la chance d’habiter la rue Daguerre et il faut le faire…

Il y a un montage aussi qu’elle faisait manuellement, avec un cache…
Oui, oui, avec Agnès tout est artisanale, tout se faisait manuellement, elle avait un cache qu’elle enlevait, qu’elle mettait oui, pas du tout elle était comme ça toujours du côté artisanal, beaucoup, comme la couture… C’est une sorte de patchwork, vous voyez, un peu comme ça, couture et patchwork.

Vous avez parlé de « retake » après le tournage, c’est par exemple le magicien, par exemple, retournage après, en cours de montage ?
Oui, il y a des petits… oui, mais vous savez c’était en 75, et je me rappelle qu’avec le magicien on avait refait le plan, par exemple avec la Joconde, oui ça je suis sûre, et aussi avec la boite, les boites de choses comme ça, oui mais elle a eu comme des idées et donc après qu’on ait tourné, elle voulait encore les boites… Bon, tout comme ça… Et je me demande si on n’avait pas tourné avec la fille, là, sur la patinoire aussi, oui j’ai l’impression que c’était plus tard, et je me dis maintenant que ce n’était pas nécessaire, mais justement moi je suis trop conceptuelle, disons, je crois que si on dit 80 mètres c’est 80 mètres et c’est tout, moi je l’aurais enlevé. (rires)

(la salle) je voulais savoir ce que vous pensez du rapport entre le quotidien et le rêve chez Agnès
Chez elle, est-ce que je dois faire sa psychanalyse … ? (rires) Non, ce que je sais c’est que moi à l’époque je faisais une psychanalyse et elle ça l’a beaucoup troublée, elle voulait tout le temps savoir ce qui se passe, et pourquoi je fais ça, et pourquoi j’en ai besoin et moi j’essayais d’expliquer, je disais que au centre de la psychanalyse, c’est le rêve et le travail sur le rêve, voilà alors moi je prétends que c’est sur l’écran, c’est-à-dire que elle a fait comme si elle était contre et tout ça, mais après elle a demandé à tout le monde de quoi il rêvait… Et les gens, ce qui est marrant c’est que les gens ils ne parlent pas du rêve de la nuit, ils ne parlent du rêve que éveillés… Alors le rêve, pour les gens à part peut-être le coiffeur, ou celui qui a fait le somnambule, oui je crois qu’il y a quelque chose comme ça, mais moi je me rappelle que ça l’a beaucoup intriguée le pourquoi je vais en analyse, que les artistes ils n’ont pas besoin d’aller en analyse de ça…

(la salle) le film a l’air de se poser dans une quotidienneté objective extraordinaire, mais en fait il devient une fiction
Une vision ?

Une fiction…
Ah oui, bien sûr

Un rêve, les gens commencent à révéler quelque chose d’eux-mêmes, et il me semble que le personnage de l’illusionniste introduit cette dimension surprenante…
Oui mais c’est ça le problème de la fiction, c’est ça…

Qui fait que le film n’est plus un documentaire, c’est quelque chose de très poétique, elle dit quelque chose…
Mais oui, bien sûr… Mais moi je ne sais pas ce que c’est que la réalité etc. parce que déjà, dès qu’on met un cadre autour de quelque chose, c’est déjà une fiction, hein, pour moi, donc après qu’est-ce qu’on appelle fiction ? Pour moi, ce n’est pas très… Et elle, elle a pris à bras le corps l’illusionniste, elle a commencé le film par là, et elle savait que ça devait aller par là intuitivement, donc elle a commencé par là, intuitivement, et après elle a suivi mais c’est ça la force d’Agnès justement, elle a fait de ça une fiction documentaire etc. Comme d’ailleurs Chantal Akerman aussi, il n’y a pas… c’est-à-dire qu’un jour on va faire ce qu’on appelle fiction et un jour ce qu’on appelle documentaire.

C’est vrai que le film, avec le magicien, serait plus dans la ligne Lumière du cinéma mais le magicien introduit Méliès…
Oui…

Éventuellement, ces références cinématographiques, cette cohabitation de ces deux lignées
Oui, mais c’est ça avec Agnès, elle allait de l’un à l’autre oui, et justement moi c’est ce à quoi je tiens beaucoup, et j’aime ça beaucoup.